Liberté d’expression

26 February, 2015 - 00:44

La illahaillaHoua. Non pas que Dieu soit, à proprement parler, absent. Mais totalité de tout et de chacun, il ne peut être perçu – distingué, différencié – en mode séparé : nul ne peut le « voir » sans mourir (à lui-même). C’est cette distinction, fondamentale en islam, entre Le Créateur et la créature, qui fonde la nécessité de la représentation – lieu-tenance, khalifat (1) –de Dieu auprès de ses créatures. Il existe une foultitude d’avis autorisés, comme Ibn Khâtir, ar-Râzi ou as-Suyuti, qui commentent l’attribution de cette fonction à l’humain, en s’interrogeant sur la nature de celle-ci, remplacement de créatures antérieures à Adam (PBL), comme les anges, ou représentation directe de Dieu.

Pour assurer son khalifat, qui prend, ici, le sens de gérance – cf. le verset XXXIII-72 : « Nous avons présenté le dépôt aux cieux, à la terre et aux montagnes mais ils s’en sont effrayés et ont refusé de s’en charger. Alors l’homme en a pris la responsabilité » – Dieu a enseigné, à celui-ci, TOUS les noms (c’est-à-dire, la capacité à se représenter les choses en leur absence). Saint Coran II-31-33. Ce n’est évidemment pas fortuit que la parole soit immédiatement associée à la gérance de la Terre… En cette union, on entend bien toute la valeur et le rôle que donne l’islam au verbe. Maints versets et hadiths en élèveront le respect au plus haut point. La parole donnée, l’engagement explicite, le pacte, LIBREMENT consentis, sont érigés en fondements de société.

Le verset XXXIII-72 met en évidence le troisième élément du triptyque : la responsabilité (amâna). Une fois assujettis, à l’homme, le navire, les fleuves, le soleil et la lune, le jour et la nuit, « tout ce que vous Lui avez demandé » (XIV-32-34), Dieu en rappelle les enjeux et les limites : VXVII-2 (afin de vous mettre à l’épreuve et manifester lequel d’entre vous est meilleur en actes) et VII-172-173 ([…] Ne suis-je pas votre Seigneur ? – Si, nous en témoignons !). C’est dans la pleine conscience de notre nature de ‘abd (serviteur) envers le Rabb (Maître) Suprême que nous pouvons accomplir la mesure de notre responsabilité sur terre. La liberté d’expression, droit fondamental octroyé à Adam (PBL) et à TOUS ses descendants, s’y aliène… à la condition, bien évidemment, qu’on ait foi en notre fonction de khalife.

La question interpelle tout musulman. Mais elle n’a aucun sens pour l’incroyant, cependant tout aussi descendant d’Adam (PBL), au regard de celui-là. C’est précisément dans cette dialectique qu’il convient de résoudre l’apparent hiatus entre les conceptions laïque et musulmane de la liberté d’expression. La première est variablement réglementée, entre des concepts aussi généraux que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » et les réalités triviales des rapports de force (notamment, ceux générés par les forces d’argent, d’une part, et, d’autre part, la loi du nombre). Il nous reste, musulmans, à approfondir la seconde qui nous oblige à supporter, patiemment, l’irresponsabilité de nos frères humains incroyants – Dieu leur en a laissé le choix – et à agir positivement, pour en minimiser les effets.

« Ô vous qui croyez ! Tenez-vous fermes comme témoins, devant Dieu, en pratiquant la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices. Soyez justes ! La justice est proche de la crainte de Dieu » (V - 8) ; « Comment ne pas nous remettre à Dieu, Lui qui nous a guidés vers des voies sûres pour notre salut ? Aussi sommes-nous fermement résolus à supporter vos outrages. Dieu est le meilleur soutien de ceux qui se fient à Lui ». (XIV - 12)Une patience (sabar) cent fois mentionnée dans le Saint Livre et qui n’est, évidemment pas, une sinécure. Mais cet effort est, tout à la fois, le prix et le fruit de notre conscience khalifale. Quant à sa rémunération, n’est-ce pas dans l’Au-delà que Dieu rendra compte, à chacun, selon ses actes ? Car c’est Lui, certes, le Juste Rétributeur, l’Inégalable Savant.

 

Tawfiq Mansour

 

NOTE :

(1) : La notion entretient également l’idée de succession et c’est celle-ci qui est particulièrement visée, à la mort de Mohammed (PBL) à qui les musulmans devaient trouver un successeur, pour conduire l’Etat naissant. Ainsi, Aboubaker, ‘Omar, Uthman et ‘Ali sont-ils désignés, tout à tour, khalifes du Prophète (PBL). Le concept de khalifat-entité politique, prend alors corps et c’est l’avènement de la dynastie omeyyade qui signera son émancipation de la matrice adamique. Mais celle-ci n’en est pas moins toujours opérative, jusqu’à la fin des temps…