Triste Mauritanie, sans Dimi !

7 June, 2023 - 08:48

Le 21 mai 2011, au début d'un concert à Layoune, Loule Mint Sidati Ould Abba, dite Dimi subissait un malaise consécutif à une crise d'hypertension artérielle, chez les Rgueibat, qui ont toujours su témoigner tant d'égards à sa famille. Transportée d'urgence à Rabat, elle y décéda, le 4 juin. Après les disparitions quasi anonymes de Mounine Mint Eelya Elvecha, Ahmedou Ould El Meidah, Sidahmed el Bekaye Ould Awe et de sa sœur Fatma, sans oublier Ahmed Ould Bobba Jiddou, Badi ould Hembara -la liste s’allonge au gré de la nécrologie -il ne reste plus pour l'identité Bidhane, qu'à dégringoler, profond encore, dans les abysses d'une arabité dissonante, source d'uniformisation par le mimétisme, l'oubli de l'origine et la paresse d'être soi et non un quelqu’un d’autre.

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Dimi ne descend pas de peu. Elle remonte au phénoménal Seddoum Ould Ndiartou, l'éloquent et ingénieux versificateur du Hassaniya, grand laudateur du Prophète, créateur de "t'heydine », diariste téméraire des rudes batailles de guerriers, accourant vers le péril comme l'assoiffé à l'outre, seul capable de transcrire, en poèmes vibrants, les circonvolutions des hordes de cavaliers, comme s'il s'incrustait sous le fer du destrier.

 

De son père, Sidati Ould Elve Ould Abba, dont la puissante corde vocale, sur Radio Mauritanie, enthousiasmera des générations, Dimi gardait l'humour, la générosité ample et démonstrative à la manière des Kounta et, surtout, cette maîtrise des basses et des montées en puissance qui la distinguait des autres griottes. La petite fille de la belle Garmi Mint Ezeml Ould Homod Val, tenait de la grande mère, de suaves vocalises, décrites avec galanterie et lyrisme, par les poètes du Tagant.

 

 

L’excellence en matière vocale
De qui, donc, Dimi a-t-elle appris ? De Sidati le sublime, premier artiste des ondes cathodiques, à pouvoir effacer les frontières entre les maures de tous horizons ? De sa mère, Mounine Mint Ely Ould Eidde "Khouya", comme le surnommait son frère SeddoumOuldNdiartou, cousine germaine du troubadour homonyme Ely Ould Eyddé avec lequel elle égalisait de " tchew'ir", virtuose de l'Ardine et championne du mode mineur dit "Echwaredhal", ces hymnes de l'ombre où l'amour courtois se décline en "Ley'athzimi", les fameuses affres et blessures du soupirant transi?

Grâce à son premier époux et cousin Seymali Ould Homod Vall, elle s'appropriait les codes de l'excellence en matière vocale, maitrisait les notes délicates, les enrichissait de son cru, sous la supervision de l’enseignant hors pair. En 1976, durant les éliminatoires de la sélection nationale au festival de Carthage - quand la Mauritanie avait encore un ministère de la culture digne de sa mission - le pays Bidhani d'abord , puis dans toute sa diversité – découvrit, avec "Richetou Alvenni", le talent post adolescent de cette noiraude, frêle encore, enjouée souvent, primesautière jusque dans les accents mélancoliques de Beigui ; cet air de fête galvanisait les foules, avant que ne le détrônassent, au répertoire dimien , "Mouritanihiyawatani" et l'apartheid esti'mar". De tels chants ont marqué bien des humanités sous le Tropique du cancer.

 

Non, Dimi doit tout à sa voix dont il semble si vain de décrire la merveilleuse amplitude. C’est ainsi, qu’à 16 ans, elle entonnait, mine de rien, sans effort et sourire aux lèvres, presque distraite par l’approche d’un verre de thé, les rudes vocalises de Hennoun Echeylé qu’elle ornait de ses inimitables et tant imitées « Mewa, mewa », typiques du Tagant profond, notes quasi-éteintes depuis Mounine Mint Eidde la grande.   

Pour les puristes, l’évocation - nostalgique à souhait - s’attarde à ses duos fréquents, avec Seddoum Ould Eydde, lors de mémorables cérémonies nuptiales, les fameux Terwah où ils rivalisaient d’ingéniosité, en déclinant les « hymnes aux pucelles», les lestes et verts Echwar Le’zeb, aujourd’hui désappris dans la caste. Sur un registre plus grave, la souvenance chanceuse des contemporains de Dimi, retiendra, à moins d’amnésie, ses envolées compétitives, aux côtés de Seddoum et Khalive, à la faveur des mélopées d’un Medih, des odes d’Elbouraghiou d’une Nih’ye exempte de tâche, comme « Allatéwal Ouzza »[i]. Ils gardaient, tous trois, le privilège de tresser, sur le timbre du gémissement, la ductile mollesse d’un Liyine, exécuté, à concurrence, par les accords de l’Ardine et de la Tidinit. Dieu merci, l’on se souviendra –ô soulagement que la technologie nous permette de n’en rien perdre - des déambulations polyphoniques, avec ses deux cousins en ligne maternelle. Le plus jeune, Khalive, l’épousa, avant de s’éclipser de la vie, à la fleur d’âge

Déjà, pendant les années 1970, le Tebrade Dimi, empreint de fantaisie romanesque, permettait, à des femmes encore engoncées dans le puritanisme bédouin, d’exprimer leurs sentiments ; afin de n’exclure aucune nature et de n’exiler nulle ardeur, elle l’adaptait aux cinq modes de l’Azawan.

Dimi est tombée sur scène, à l’image des divas tragiques. Que le Seigneur lui pardonne, au nom du bien, immense que son apparition brève parmi nous occasionnait, à tant d’humains pris dans la tourmente de la vie. Des pentes abruptes de Guneiguiré près de Nbeika, aux acacias filiformes de Rchélmowje « hjelli », sans oublier la mare de Matmata, les dunes de ElbAddar et les cuvettes, noire et blanche, des deux Toumoujeijat, que chaque brin de rosée, le plus volatil grain de sable, l’infime soupçon d’épineux et tous les soupirs des amoureux trépassés, ici, intercèdent, pour elle, à l’heure du jugement. Miséricorde et rémission, clament Ehlelmejliss, l’assemblée des mélomanes, jouisseurs des enchantements de l’ouïe, à présent bien inspirés de s’en remettre à la Providence, s’ils ne préfèrent sacrifier à la pénitence par l’agnosie.

Dimi et morte et nos oreilles inclinent à une sombre surdité ; adaptons-les à la grisaille d’un monde désormais orphelin du bon goût, avant que ne surgissent, du miracle de la réincarnation, d’autres Hamme Ould Nefrou, Laewar Ould Ngdheye, Jeych Ould Mohammadou, Moutbeïbib Mint Nefrou ou, peut-être, une Moullé Mint Ely Ould Eydde.

Dimi, elle, ne se duplique pas. Il n’y en aura qu’une, à jamais : Les guerriers guerroient, les marabouts maraboutent, les cantatrices chantent mais Dimi rend heureux, au présent perpétuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Akhyar MejmoueAaznague

Lieu : quelque part dans la forêt

Date : Le 8 juin 2011