C’est ainsi qu’on dilapide l’argent public : Lorsque les grands responsables publics s’occupent de leur propre confort/ Mohamed El Mounir

17 January, 2023 - 19:01

Beaucoup de nos responsables publics se soucient énormément de leurs propres conditions de travail, qu’ils cherchent systématiquement à améliorer, en les alignant sur des standards élevés, pour s’assurer du confort qui sied à leur statut. Ces dépenses somptuaires et parfaitement inutiles sont financées par l’argent public.

Quand les responsables inversent les priorités

Au lieu de consacrer leur temps et les moyens que l’Etat met à leur disposition, dans un contexte de pénurie des ressources, pour répondre aux attentes pressantes des populations, plutôt que d’inaugurer des projets de développement ayant un impact sur la vie des citoyens, les responsables publics se lancent dans la construction de buildings flambant neufs destinés à les accueillir. Le dernier exemple en date est le siège de la société publique Maaden, dont la pose de la première pierre a été célébrée en grande pompe, en présence du président de la République.
Dès qu’un haut fonctionnaire est nommé à la tête d’une institution ou d’un organisme public, il s’empresse de se construire un siège ou de retaper celui dont il a hérité, de renouveler son parc automobile, en faisant l’acquisition des modèles les plus sophistiqués, de commander des meubles, pour s’installer dans un confort optimal, comme si le pays n’avait que ça à faire. Une telle tendance traduit un déficit d’ambition flagrant et une inversion totale des priorités.
On se demande comment réfléchissent ces responsables et d’où est ce qu’ils puisent leur inspiration pour être aussi en déphasage avec les défis du moment et les attentes des populations? Au moment où le Maroc et le Sénégal voisins inaugurent des projets futuristes, des TGV, des aéroports et des autoroutes, nos élites inaugurent des immeubles administratifs ou acquièrent des ascenseurs pour accéder à leurs bureaux cossus. Sans oublier que la construction de nouveaux bâtiments est toujours une opportunité de corruption, à travers l’adjudication de marchés publics.
Flamber des milliards pour construire des bâtiments administratifs dans une capitale dont le tiers des habitants n’a ni électricité ni eau potable et dans un pays dont la majorité des habitants peine à survivre relève, tout simplement, de l’incurie et de l’irresponsabilité.

 

Fracture croissante entre les élites et le peuple

Monsieur le Président, j’attire votre attention sur la fracture entre les élites et le peuple et le décalage grandissant entre les priorités des élites et les attentes des populations. Celles-ci aspirent à ce qu’on améliore leurs conditions de vie, tandis que les élites cherchent à améliorer leurs conditions de travail. Ces élites-là ne peuvent, à l’évidence, répondre aux besoins de leurs concitoyens, encore moins construire un pays ou une nation.
Monsieur le Président, les Mauritaniens sont las des poses de premières pierres, dont la plupart concernent des projets sans impact sur le développement; ils en ont assez des promesses non tenues et des effets d’annonce rarement suivis d’effets, au point de devenir le symbole de l’inefficacité des politiques publiques. Nous avons besoin de résultats tangibles au niveau des principaux indicateurs de développement au lieu de consacrer nos efforts et nos maigres ressources à construire des bâtiments administratifs.

Le gouvernement doit se focaliser sur l’essentiel

Monsieur le Président, que les fonctionnaires travaillent dans des locaux 5 étoiles ou dans des conditions moyennes importe peu. En quoi, en effet, la construction d’un bâtiment public est-elle un indicateur de développement par rapport à l’atteinte des objectifs définis par la stratégie nationale de croissance ? En quoi contribue-t-elle à réaliser les cibles assignées, en termes d’amélioration des conditions de vie ou de réduction de la pauvreté ?
Monsieur le Président, votre gouvernement est attendu sur la construction d’écoles et de centres de santé qui manquent cruellement, et non sur des dépenses de prestige sans aucun intérêt. A la limite, un programme de construction permettant aux fonctionnaires et aux plus démunis d’accéder à des logements décents à des prix abordables aurait été plus indiqué.

Moratoire sur la construction de bâtiments administratifs

Cette propension à construire des bâtiments de prestige onéreux met à jour trois problèmes à traiter d’urgence : Une difficulté à comprendre et identifier les priorités de développement; un problème pour concevoir une stratégie de mise en œuvre de ces priorités; et l’incapacité à établir un dispositif de suivi et des mécanismes de redevabilite efficaces.
La Mauritanie souffre d’abord d’un problème d’allocation et non de pénurie de ressources. Nous devons, d’année en année, réduire le coût de fonctionnement de l’Etat, en privilégiant les dépenses d’investissement, pour améliorer les infrastructures et les conditions de vie des populations.
Monsieur le Président, vous devriez décréter un moratoire sur la construction de bâtiments administratifs qui, par effet d’éviction, contribue à réduire les ressources consacrées à l’édification de centres de santé, d’écoles et au recrutement de nouveaux enseignants dont le pays a besoin. La construction de bureaux où la rénovation des façades de bâtiments officiels n’a pas d’impact sur les populations. Elle n’améliore ni l’éducation, ni la santé, ni le logement social, ni les infrastructures routières. Au contraire, elle ne fait que creuser davantage le fossé qui sépare les élites des populations et exacerber le ressentiment de celles-ci à l’encontre de politiques publiques considérées comme étrangères à leurs préoccupations, ce qui à terme pourrait hypothéquer la stabilité du pays.