Quand Ould Abdel Aziz « emprunte » l’axe du mal en dépit de tout bon sens

28 December, 2022 - 08:01

Comment Ould Abdel Aziz est arrivé au pouvoir, tout le monde le sait et n’importe qui peut donner la bonne réponse. Quelles étaient les dessous de cartes de cette effraction qui lui permit de violer les règles de la démocratie ? La question n’est plus d’actualité. À qui revient la faute qu’il ait été « accepté » pour diriger la junte militaire de l’époque ? À certains d’entre nous. Mais il est plus que probable que ces «décideurs » des grandes crises nationales regrettent maintenant d’avoir laissé le pouvoir à ce président si différent de tous ceux qui prirent de gré ou de force le pouvoir en Afrique ces soixante dernières années.

Ould Abdel Aziz fut unique dans son genre. À la fois un bon et très mauvais président, dictateur et démocrate, président au recto, homme d’affaires au verso. Et taillé, au millimètre près, à la mesure de ses ambitions. Il ne reculait devant rien lorsque ses intérêts personnels étaient en jeu. C’est d’ailleurs pourquoi attachait-il si peu d’intérêt à évaluer les risques pour lui des conséquences de ses actes. Contre ceux-ci, personne – ni de son entourage, ni de ses proches collaborateurs, ni de ses compagnons d’armes – ne pouvait se dresser ou essayer de leur barrer le chemin.

Ould Abdel Aziz avait une sorte de folie des grandeurs qui sortait de l’ordinaire et dépassait parfois même l’inimaginable. Il cherchait toujours à savoir jusqu’où un individu pouvait se rabaisser devant lui. Toujours menaçant, très arrogant, parfois même d’une insolence violente, il aimait « piétiner » les gens par des propos éventuellement vulgaires, juste pour tenter de provoquer chez eux des réactions négatives. Bref, le coréen Kim Jong-Un en personne cloné à la mauritanienne. Capable de tout pour imposer sa supériorité, il dirigeait le pays d’une poigne de fer et tenait « en lesse » tous ceux qui acceptaient de « travailler pour lui ».

 

Pile, président ; face, homme d’affaires

Ould Abdel Aziz ne s’est jamais considéré comme un chef d’État au sens constitutionnel du terme. Mais plutôt comme le dirigeant d’une secte – entreprise familiale… – dont tous les adeptes – courtiers… – lui devaient une obéissance inconditionnelle et aveugle. Tous, Premiers ministres, ministres et autres, n’étaient là que pour satisfaire les désirs du chef. Même si ces désirs n’étaient dictés que par les caprices de celui-ci, enchaîné à une seule et vraie passion : s’enrichir, au plus vite et de n’importe quelle manière, licite ou illicite, légale ou prohibée.

Avec cependant une règle, tout au long de ce périple financier dangereux et risqué : ne laisser aucune empreinte personnelle sur les lieux des crimes et délits commis à son profit. Devant cet homme qui s’était forgé une personnalité extrêmement forte, tout individu n’était plus qu’un « valet » ou un « concierge » condamné à obéir sans aucun droit d’exprimer le moindre sentiment personnel. Officier supérieur – même au grade de général – Premier ministre ou ministre, on n’était plus devant Ould Abdel Aziz qu’un sujet, contraint de faire ce qu’on lui dit ; un point, c’est tout.

Ce qu’est tout coréen devant Kim Jong-Un était le lot de tout Mauritanien devant Ould Abdel Aziz. La différence entre les deux, c’est qu’un coréen pouvait sortir du bureau du président Kim Jong-Un les pieds devant, alors que le mauritanien en sortait toujours vivant mais pouvait se retrouver aussitôt soumis injustement à toutes sortes de tortures morales ou psychologiques. Ahmed ould Djié, un des soutiens inconditionnels d’Ould Ghazwani, disait dans un vocal récent ne pas comprendre vraiment ce qu’Ould Abdel Aziz cherche avec ses agissements irresponsables. « Les plus beaux poèmes », remarquait-il, « furent chantés à la gloire de cet homme. Les meilleures louanges lui furent adressées, les meilleures mélodies de fanfare jouées. Douze années durant, nous avons tangué au gré des caprices de cet homme qui ne faisait absolument rien dans l’intérêt de son pays, mais tout dans son propre intérêt ». Et de conclure : « Ould Abdel Aziz sait très bien qu’il ne reviendra plus jamais au pouvoir. Alors, que cherche-t-il ? »

 

Aziz, un homme dangereux pour tous et pour lui-même ?

Arrivé au pouvoir en 2008 par effraction constitutionnelle, grâce à la complicité de certains comme Ould Maham (pour l’aile politique) et le général Ould Ghazwani (pour l’aile militaire), Ould Abdel Aziz n’y accéda qu’en le seul but de s’enrichir démesurément.

Et le fit au su et au vu de tous. Au su et au vu des Mauritaniens mais aussi en ceux des Européens, des Américains et des Asiatiques, jaunes ou arabes. Tous savaient parfaitement qu’il avait transformé le Palais gris en une sorte de comptoir de négoce et en un établissement à caractère industriel et commercial. Mais il semait une telle terreur, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays et vis-à-vis de nos partenaires, qu’aucun dirigeant de pays donateur ou d’institution de financement ne pouvait se hasarder à lui demander des comptes.

Aldiouma Cissoko, un intellectuel et grand militant de la liberté, président de l’Association des Réfugiés Mauritaniens au Sénégal – il y décéda en exil le 2 Février 2021 – taxa un jour Ould Abdel Aziz d’homme « dangereux ». Ce n’est pas faux, c’est même plutôt un euphémisme : c’est un homme « extrêmement » dangereux, rancunier et sans pitié. Ce n’est pas pour s’enrichir encore plus démesurément qu’il cherche à revenir au pouvoir : il a seulement soif de vengeance. Non seulement à l’égard d’Ould Ghazwani mais aussi à celui de tous ceux qui l’ont trahi ou vendirent sa peau à ses ennemis. C’est bien pour régler le compte à tous ces « ingrats », qu’il suit une telle politique aux « forceps ». 

Humilié, abandonné, le président des pauvres éprouve « le mal de vivre » dans les conditions que lui impose son entêtement à refuser le moindre compromis avec ceux qui le forgèrent de toutes pièces en 2008. « Sa retraite coupée et tous ses chemins pris », Ould Abdel Aziz – celui qui donnait en son temps parfois plus d’importance et de respect à « sa folle » et à Zeïdane, le « danseur de cabarets », qu’à certains de ses ministres – semble avoir en définitive choisi d’emprunter l’axe du mal.

C’est ce qui explique peut-être son alliance avec les diables et les démons ; et pourquoi avait-il enfilé l’anneau au doigt de la mouvance des FLAM – Forces de Libération des Africains de Mauritanie – un acronyme pourtant entendu, par une certaine composante maure de notre population, qu’en Force pour la Liquidation des Arabes de Mauritanie.

Certes, Ould Abdel Aziz a beaucoup fait pour la Mauritanie. Beaucoup plus que tous les présidents qui l’ont précédé : infrastructures routières, énergie partout et pour tous, forages hydrauliques, structures sanitaires, infrastructures scolaires et sportives, très nombreux édifices publics… Mais Ould Abdel Aziz le sait bien : tout ce qu’il a fait, ce n’était pas pour développer le pays. Mais pour en tirer profit. C’est d’ailleurs pourquoi la durée de « péremption » de ses réalisations était ajustée à celle de ses deux mandats. Ce qui explique qu’il n’ait laissé derrière lui qu’un véritable champ de ruines, la plupart des villes et même la capitale en étaient revenus à la bougie. Et les araignées avaient même tissée leurs toiles dans les caisses du Trésor et de certains caveaux de la BCM…

Ould Abdel Aziz a peut-être la mémoire courte. Les Mauritaniens l’ont, eux, beaucoup plus longue. Malheur à notre « Aziz Jong-Un» ! Ce qu’il ne sait pas ou feint d’ignorer, c’est qu’à son départ du pouvoir, tous les Mauritaniens poussèrent un grand ouf de soulagement. Si certains d’entre eux expriment maintenant de la nostalgie envers son époque, c’est à cause de ce qu’ils perçoivent de « contreperformances » dans les prestations de son successeur. Qu’Ould Abdel Aziz ne se trompe pas :  son poids politique est très léger. Un poids plume, allégé d’autant plus par les alliances qu’il noue avec les démons et les diables.

Maintenant c’est à lui de choisir. Soit il revient à la raison et intègre le camp de l’unité et de la cohésion nationale, celui laissé en héritage par le régime d’Ould Taya, formaté par celui d’Ély ould Mohamed Vall, mis à jour par son propre régime et synchronisé avec celui d’Ould Ghazwani par Ould Ghazwani, la « nouvelle Référence ». Cela lui éviterait d’autres ennuis. Soit il persiste et signe, en rejoignant le camp de la haine raciale, des divisions communautaires, en s’accolant de « concertias » et d’alliances politiques avec une partie des FLAM. Et là, ce serait pour lui comme se jeter dans l’abîme du Barhout, ce puits de l’enfer à   l’Est du Yémen où grouillent, paraît-il, les démons et toutes sortes d’esprits maléfiques. Le premier chemin le mènera aux plaines verdâtres de la politique, l’autre à une géhenne plus terrible encore que celle où il avait jeté le pays de 2008 à 2019.

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant