La mise au ban du prophète et des siens/Moussa Hormat-Allah-Professeur d’université-Lauréat du Prix Chinguitt

28 December, 2022 - 07:56

Malgré la conversion d’Omar, les polythéistes Koraïches demeurent convaincus que la réponse la plus appropriée pour contrer Mohammed et ses partisans, reste à leurs yeux, de faire toujours monter d’un cran l’intensification de la repression et des persécutions. En somme la fuite en avant.

Aussi et sans plus se poser de questions, ils décidèrent d’exclure manu militari Mohammed de la Mecque et, avec lui, tous ceux qui le soutiennent (musulmans ou non) avec, au premier chef, le clan des Beni Hachem à l’exception de son oncle, le sinistre Abou Lahab. Mis au ban de la société, ils furent tous contraints à vivre dans une vallée désertique aux environs de La Mecque. Le boycott à leur égard était total. Un document solennel fut rédigé à cet effet par Mansour Ibn Ikrima et signé par une quarantaine de notables de la ville sainte. Désormais, aucun homme des autres tribus ne pourrait plus épouser une femme des Béni Hachemni ni donner sa fille en mariage à un homme de leur clan. Interdiction totale est faite à tous les habitants de La Mecque de faire une transaction commerciale, quelle qu’elle soit, avec eux. Même leur ravitaillement en vivres est également prohibé. Le document de mise au ban est assorti pour sa levée de la réalisation de l’une des deux conditions expresses suivantes : les Béni Hachem doivent déclarer Mohammed hors la loi, c’est dire rendre sa liquidation physique sans conséquence ou bien et c’est là la deuxième condition, que le Prophète doit, lui-même, renoncer à sa mission prophétique.

Le document de mise au ban fut accroché à l’intérieur de la Kaâba. Devant tant d’hostilité, les Béni Hachem furent parqués dans des ravines autour de La Mecque où Abou Taleb avait déjà un pied à terre.

Les polythéistes Koraîchites proposèrent à Khadija d’aller habiter où elle voulait car elle était exclue de cette punition collective. Mais l’épouse du Prophète refusa l’offre et choisit de rester aux côtés de son époux et du reste des musulmans dans l’adversité.

Pendant cette période de quarantaine, les musulmans étaient répartis en trois : une partie autour du Prophète assiégée et placée en prison à ciel ouvert par cette mise au ban, une autre se trouvant toujours en Abyssinie et une troisième restée à La Mecque où elle subit, au quotidien, les pires sévices.

 

Le calvaire des bannis

Le Prophète et ses adeptes endurèrent pendant trois ans les affres de la faim et de l’isolement. 

Malgré les risques énormes qu’ils prenaient, des hommes courageux sont arrivés à apporter en cachette des provisions aux bannis. Ce fut le cas notamment de Hakim, le neveu de Khadija, de Hicham Ibn Amr El Amiri et de certains membres d’autres clans comme celui de Abou Bakr ou de Omar. Sans compter les subisdes qu’offraient de temps à autre à la petite collectivité les bédouins et les caravanes de passage. Pendant les mois sacrés, les exilés pouvaient retourner à La Mecque et se déplacer à leur guise. Mais tout cela était irrégulier et très insuffisant. Tout le monde était éprouvé, marqué par la faim. Les Béni Hachem furent même amenés à manger des feuilles d’arbres. Le Prophète a décrit cette situation en ces termes : « J’ai été persécuté comme personne ne l’a été et j’ai eu faim comme personne ne l’a eue ». Et le Prophète d’ajouter qu’il lui est arrivé de passer trente jours avec Bilal dans les ravines de Abou Taleb sans rien à manger.

Le Coran venait pendant cette épreuve réconforter le Prophète et les musulmans : « D’autres Prophètes, avant toi ont été accusés de mensonges. Mais ils ont supporté avec patience injures et persécutions jusqu’à ce que leur vint Notre secours, car rien ne peut modifier les paroles du Seigneur… ».

Puis Allah, dans un autre verset, dit à l’adresse de son Prophète : « Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi. Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants ? ».

Puis cette promesse divine mit du baume au cœur des musulmans : « Quiconque craint Allah et se montre patient en reçoit la récompense, car Allah ne frustre jamais les hommes de bien de leur récompense ».

Toutes ces souffrances endurées ont été supportées avec stoïcisme et les musulmans n’ont jamais fléchi ou montré une quelconque velléité à apostasier. In fine, cette mise au ban n’a pas servi les intérêts des oligarques Koraïches. Bien au contraire, cette opération punitive fut contrairement à leur attente une grande publicité en faveur du Prophète et de la nouvelle religion dans toute l’Arabie. Elle eut par ailleurs, d’autres corollaires plutôt inquiétants pour les chefs mecquois.

 

Levée du bannissement 

L’unanimité des notables koraiches commença à se fissurer, certains mettant en cause son bien-fondé et sa pertinence. D’autres, avec le temps, commençaient à avoir des remords à voir de proches parents parmi les exilés soumis à un calvaire indescriptible. Autant de facteurs qui militèrent, désormais, en faveur de la levée de cette mesure de bannissement. A cette fin, une initiative fut prise par cinq courageux Koraïches

(Hicham, Zuhaïr, Mataam, Abou El Bakhtari et Zammah) au grand dam de leurs chefs comme Abou Jahl ou Abou Soufeyân –pour la levée du boycott et la destruction de l’acte accroché dans la Kaâba.

En retirant devant la foule le parchemin de la mise au ban qui se trouvait dans le sanctuaire sacré, la surprise et la stupéfaction furent générale quand on s’aperçut que ce document a été entièrement rongé par les termites à l’exception de la mention qui figure en tête ainsi libellée : « En ton non, ô Dieu ». Les termites avaient exécuté avec munitie la mission qui leur avait été confiée. Ces miniscules bestioles ont bravé les puissants seigneurs Koraïches et réduit à néant leur travail. Le Coran soulignera cela en ces termes : « Nul ne connaît les armées de ton Seigneur, hormis Lui ».

Les Koraïches, défaits, baissèrent les bras et le boycott envers les Béni Hachem fut annulé.

Avec la fin de la mise au ban, les musulmans ne connaîtront pas pour autant de sitôt la paix et la quiétude. L’aversion des Koraïches pour la nouvelle religion ne fera que se renforcer avec son lot quotidien d’humiliation et de répression.

Plus grave encore, deux événements presque concomitants allaient plonger le Prophète et les musulmans dans une grande tristesse et accroître leur vulnérabilité. Il s’agit de la mort de Khadija, l’épouse exemplaire du Prophète et de celle de son oncle et protecteur, Abou Taleb.

Avec la disparition de Khadija, l’Envoyé de Dieu perd non seulement une épouse, mais aussi une conseillère avisée. Il perd aussi une mère de famille qui veillait avec une attention et un soin particulier sur la maisonnée qui comprenait, outre les enfants, Ali (le futur calife) et Zaïd.

La piété, le dévouement, l’abnégation, la hauteur de vue et les qualités morales de Khadija étaient telles qu’au moment de sa mort, l’ange Gabriel descendit pour dire au Prophète : « Transmets à Khadija le salut d’Allah et dis-lui qu’Il t’annonce la bonne nouvelle d’un palais en perles au paradis où elle n’éprouvera ni fatigue ni vacarme ».

Si avec Khadija, le Prophète perd un précieux soutien affectif et sentimental, il perd, dans la foulée, avec son protecteur, Abou Taleb, l’homme qui le protégeait de la vindicte des Koraïches. Avec la mort de ces deux êtres chers, l’Envoyé de Dieu se trouve quelque peu fragilisé sur deux fronts : le front intérieur, c'est-à-dire familial et le front extérieur avec la répression et les persécutions des mécréants mecquois. Pour douloureuse qu’elle soit, cette double perte d’êtres chers est, sans doute, une manifestation de la volonté divine pour que le croyant sache qu’il n’y a personne en dehors d’Allah pour le protéger.

Sans protecteur depuis la mort de son oncle Abou Taleb, la vie pour le Prophète à La Mecque devenait particulièrement dangereuse. Non pas que l’Envoyé de Dieu eût peur –les Prophètes ne craignent que Dieu –mais il lui tenait à cœur de mettre de son côté les conditions optimales pour réussir sa mission prophétique avec au premier chef, la sécurité pour sa personne.

Circonstance aggravante pour le Prophète, Abou Lahab, l’oncle et ennemi déclaré du Messager de Dieu, avait succédé comme chef du clan des Béni Hachim après la mort d’Abou Taleb. La protection qu’il accordait à Mohammed était faite du bout des lèvres et le Prophète commençait au vu et au su de tout le monde à être victime des traitements les plus infâmants.