Damien Glez, caricaturiste du journal burkinabé Le journal du Jeudi: ‘’On est encore abasourdi par ce qui s’est passé à Charlie Hebdo’’

15 January, 2015 - 01:35

Afronline : Damien, vous connaissiez bien les caricaturistes français de Charlie Hebdo ; certains d’entre eux, comme Tignous, très bien. Quelle a été votre première réaction à l’annonce de leur décès ?

Damien Glez : Un sentiment de choc absolu. On est encore abasourdi par ce qu’il s’est passé, presque sans voix. C’est vrai que les dessinateurs n’ont pas l’habitude de parler beaucoup, mais le drame est d’une telle ampleur que je ne sais pas tellement quoi dire. On sait aussi que Charlie-Hebdo n’aimait pas et n’aime toujours pas, d’ailleurs, la sensiblerie. Les victimes n’auraient pas aimé qu’on pleurniche beaucoup sur leur sort ; on reste donc un peu silencieux. Mais, nous, les dessinateurs, couvons une vraie colère, par rapport à cette attaque, sans précédent, contre notre profession. Aujourd’hui, nous avons la volonté de reprendre le flambeau, de continuer le travail, parce que la meilleure victoire des terroristes serait que nous ayons peur et que nous pleurnichions. Il est nécessaire de reprendre nos stylos et de se remettre à dessiner.

 

- Comment leur rendre hommage ?

Chaque dessinateur a évidemment son style, même si dessiner, aujourd’hui, sur et pour Charlie, c’est essayer de s’adapter, un peu, à ce que Charlie aurait aimé publier, à ce que Charlie aurait fait, à ce que Charlie fera, sûrement, la semaine prochaine sur le sujet ; on essaye donc de ne pas tomber dans l’émotion larmoyante. Nous essayons de faire des dessins assez caustiques, assez croustillants ; certains sont des hommages, assez tendres, aux dessinateurs ; d’autres prennent de front les islamistes, pour leur faire comprendre qu’ils n’ont pas gagné la guerre ; pire, même pas gagné une victoire. De notre côté, nous allons rendre un hommage, très appuyé, à Charlie Hebdo car les rapports, entre ce magazine et le Journal du Jeudi, étaient particuliers. Dans les années 90, une partie de la rédaction était venue à Ouagadougou, pour réaliser un numéro spécial en tandem. Parmi eux, je voudrais évoquer Luz, qui a survécu à l’attaque.

 

- Qu’est-ce que représente Charlie-Hebdo à vos yeux ?

- Charlie-Hebdo était un véritable coup de poing. Les dessinateurs décédés étaient des grands spécialistes du dessin, qui se qualifiaient, eux-mêmes, de bêtes et méchants, alors qu’en réalité, ils ne l’étaient absolument pas.

 

- Quel souvenir gardez-vous des dessinateurs assassinés ?

- Sur le plan professionnel, il faut savoir que ces dessinateurs étaient des piliers de la culture satirique française, et l’on sait que la France fut très en pointe, en matière de caricature, dès le 19ème siècle, avec Daumier. Cabu et Wolinski ont marqué l’histoire de la presse et de la caricature, en particulier. Ce sont véritablement des monuments qui se sont effondrés.

 

- Ce sont aussi des gens que vous connaissiez…

- Je connaissais bien Tignous qui était venu, ici, à Ouagadougou ; j’ai aussi connu Cabu, dans le cadre de l’association Cartoonist for Peace, et Wolinski, au cours d’une exposition collective. Ce qui est vraiment frappant, c’est le paradoxe, immense, entre leurs morts, effroyables, et la réalité de leur tendresse, immense. On les a accusés d’être irresponsables et méchants, alors qu’ils étaient d’une extrême sensibilité humaine et intellectuelle, et d’une douceur infinie. Cabu, qui avait 77 ans, avait encore l’air d’un vieil adolescent, souriant en permanence et gentil avec tout le monde. Ses dessins pouvaient être postiches mais jamais agressifs. Le but de ses provocations était de faire réagir les gens, de les faire réfléchir et pas d’être désagréable.

 

- Partagez-vous leur approche de l’Islam ?

- L’approche des dessinateurs diffère selon chacun, la ligne éditoriale du journal où il travaille et, aussi, selon le pays ou’ il se trouve. Il y a plusieurs écoles qui, d’ailleurs, ne s’affrontent pas. Certains considèrent qu’il vaut mieux contourner les interdis et attaquer les islamistes en biais, en s’en prenant davantage à ceux qui représentent ce mouvement, plutôt qu’au prophète car dessiner celui-ci provoque une sorte de blocage, parmi la population musulmane, et c’est un peu contreproductif ; il y en a d’autres, en particulier dans la culture française, qui pensent, forts d’une culture satirique très ancienne – plus d’un siècle –  qu’il faut aller véritablement de front. En Afrique, la presse est beaucoup plus jeune : dans la partie francophone, elle a à peine trente ans d’existence et doit prendre en compte une population parfois très croyante et extrêmement sensible aux sujets religieux. Nous avons tendance à ne pas les blesser, ce n’est pas d’ailleurs pas le but d’un dessin.

Concernant la position de Charlie-Hebdo par rapport à l’islam, de façon générale, c’est la représentation de Mahomet qui a posé problème. Sur ce point ils étaient tout à fait défendables. Evidemment, Mahomet est d’abord un personnage historique et chacun se l’approprie à sa manière. Mais un caricaturiste a tout à fait le droit de représenter un personnage historique, sous n’importe quelle forme et dans n’importe quelle circonstance.

 

- Avez-vous jamais dessiné Mahomet ?

- J’ai fait des dessins qui n’ont pas été publiés au Burkina car les gens auraient eu du mal à les accepter. Je ne pense pas que j’aurais eu peur de le faire parce qu’il n’y a pas de problèmes de religion, au Burkina-Faso, et je n'ai jamais été  menacé par un musulman. Mais j’ai fait des dessins de Jésus qui m’ont valu, aussi étonnant que cela puisse paraître, des lettres très agressives, parfois menaçantes, d’une partie de la communauté chrétienne. Aujourd’hui, je suis persuadé que dessiner Mahomet ne serait pas un problème, je l’ai fait dans d’autres journaux panafricains, ou européens.

 

- Avec quelle approche ?

- La question des caricatures de Mahomet est un sujet en soi qui dépasse la seule représentation du personnage, j’ai donc réalisé des dessins sur le fait de le représenter.

 

De Joshua Massarenti et Eva Donelli (Afronline)