Incertitudes (6): Le challenge du deuxième tour/Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

20 October, 2022 - 01:31

Sidi  Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et Ahmed Ould Daddah, deux anciens ministres du dernier cabinet du président Mokhtar Ould Daddah, passent au second tour de la présidentielle de 2007. La course au soutien des perdants du premier tour s’enclencha aussitôt. Les plus disputés étaient les plus notés au premier tour notamment Zeine Ould Zeidane et Messaoud Ould Boulkheir, ainsi que Mohamed Ould Maouloud considérant la représentation symbolique de la sensibilité MND qu’il s’impose d’incarner en ce moment.
Zeine Ould Zeidane, si j’ai bonne mémoire n’a pas beaucoup résisté aux offres discrètes de Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Ses soutiens dans sa campagne se confondaient au plan économique et social avec ceux de Sidi. Pour Ahmed Daddah, l’incarnation de l’opposition radicale durant près de deux décennies, les choses n’étaient pas aussi faciles.
Quant à Messaoud Ould Boulkheir il fut l’objet d’un harcèlement continu de la part des deux heureux élus au second tour: Sidi et Ahmed. L’avantage et peut-être surtout l’inconvénient pour Ahmed Ould Daddah est d’être suffisamment connu par aussi bien l’opinion nationale que les acteurs politiques.
Les militants des partis APP et UFP s’étaient beaucoup frottés à Ahmed Ould Daddah durant une longue période. L’opinion dominante qui se dégage de leurs rangs était loin de lui être favorable. Tous collent un point d’interrogation sur le front de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. La campagne de celui-ci les édifiera peu sur ce plutôt mystérieux outsider.

 

Offres alléchantes
L’avantage et aussi l’inconvénient de Sidi est d’être pratiquement ignoré par la grande masse des jeunes militants des partis traditionnels notamment ceux de l’opposition. Même notre propre génération, les jeunes de son premier séjour au pouvoir durant la décennie 1970, nous ne le connaissons que très peu.
Épaulé par son mentor, l’homme fort du moment, Mohamed Ould Abdelaziz, Sidi Ould Cheikh Abdallahi entama aussitôt ses démarches pour le second tour. Sa pression s’exercera en premier lieu contre les deux principaux perdants du premier tour venant juste après lui et Ahmed Ould Daddah son principal challenger au second tour. Ne laissant à ce dernier, comme ultime espoir, qu’œuvrer par tous les moyens pour gagner Mohamed Ould Maouloud à son propre camp.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’hésite pas à faire des offres alléchantes à Zeine Ould Zeidane et Messaoud Ould Boulkheir. Au premier, il propose le poste de Premier Ministre. Au second, il offre le président de l’Assemblée nationale. Soit le second et le troisième postes dans la hiérarchie de l’Etat mauritanien.
Parallèlement aux négociations avec Zeine et Messaoud, Sidi engagea depuis le début de sérieux pourparlers avec Mohamed Ould Maouloud. À t-il lui fait des offres? Personnellement je n’en sais rien.
Tout ce que je sais est que concernant le choix du second tour, le débat s’était enclenché très tôt au sein des militants et sympathisants de l’UFP.
D’ailleurs pour l’ensemble de l’opinion, le choix entre les deux challengers du second tour n’était nullement chose facile. En effet, Ahmed et Sidi partagent énormément de points communs. Tout d’abord diplômés en économie, ils sont tous les deux formés dans les universitaires françaises. Les deux sont issus du même milieu maraboutique et ayant servi dans le dernier gouvernement de l’ex-président Mokhtar Ould Daddah. Pour bon nombre d’observateurs, l’unique différence palpable n’était autre que : Ahmed Ould Daddah menait l’opposition dite radicale depuis quelques deux décennies, donc largement connu, pour le bon et pour le pire, par la rue mauritanienne. Ce qui n’était pas le cas de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, absent complètement de la scène nationale depuis pratiquement la même période.

 

 

Le jour du verdict
Ahmed jouissait d’un discours déjà bien rodé. Sidi débute son alphabet politique sur un terrain qui lui échappe encore sous les pieds. Une fois, au cours d’un discours de campagne à Nouadhibou, il aurait refusé de donner la moindre promesse de campagne en matière de diminution des prix des denrées alimentaires. Certains lui prêtent d’avoir dit que si le succès de sa campagne était conditionné par le mensonge, il ne veut pas de ce succès. Aussi il n’arrivait pas à cacher son agacement des pressions souvent délibérément ouvertes exercées sur lui  par son mentor Aziz. Comme si ce dernier tenait à chaque fois à rappeler que c’était plutôt lui la face cachée de la candidature de Sidi.
À l’UFP, le débat s’échauffe. La grande salle de réunion au siège central  du parti ne désemplit jamais. À l’exception de quelques voix, timides de surcroît, presque tous soutiennent la position qu’on prête à Bedreddine, position favorable à Sidi Ould Cheikh Abdallahi au second tour. Ils se fondent sur ce qu’ils considèrent comme une amère et longue expérience avec Ahmed Ould Daddah. Considérant qu’on ne comptabilise aucun mauvais précédent sur Ould Cheikh Abdallahi, autant donc le soutenir cette fois-ci en attendant de le voir sur le terrain concret. Pour les favorables à Ahmed, Sidi est une simple marionnette aux mains de la junte militaire au pouvoir. Ce qui constitue un argument de poids difficile à démonter. Les autres leur opposent ce qu’ils considèrent comme des défauts criants constatés chez Ahmed durant donc près de deux décennies.
À mon niveau, je mettais l’accent sur un point bien précis. J’invite tout le monde à prendre en considération que nous sommes devant deux hommes indépendamment de leurs soutiens politiques. Deux hommes candidats à la première institution politique et administrative du pays: la présidence de la République. Pour trancher entre les deux, « évaluons objectivement ce que nous jugeons comme étant leurs points forts et leurs points faibles », disais-je. Le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi, considérant son passé encore propre aux yeux des électeurs risque de tirer le plus de profit d’un tel pseudo sondage.
Il semble que ce n’était pas l’avis du président du parti Mohamed Ould Maouloud. Même son nouvel entourage familial ne manifestait pas un enthousiasme ouvert pour sa position.
Il y a lieu de se demander si le président Maouloud depuis quelque temps ne détermine-il pas toute position politique majeure par rapport à celle de Bedreddine? Il fallait à chaque fois prendre le contrepied de toute position publiquement défendue par celui-ci.
Le jour du verdict, la grande salle grouille de monde. On s’attendait à une décision démocratique après consultation même sommaire de la masse de militants et sympathisants présents. Brusquement le président Maouloud fit irruption dans la grande salle accompagné de quelques proches dont l’inamovible Parfait Secrétaire. Les esprits s’échauffent.  Un remue-méninges agite la salle. Manifestement certains visages voient pour la première fois le président de l’UFP. Sans perdre beaucoup de temps, celui-ci ci débuta son discours. Après une brève introduction, plutôt décousue faute de logique un tout petit peu convaincante, au nom de la solidarité d’une opposition déjà morcelée et décapitée au premier tour, il proclama le soutien à Ahmed Ould Daddah au second tour de la présidentielle. Quelques inconditionnels, déjà certainement informés, se mirent à applaudir. Un climat de torpeur et de déception s’empara de la grande masse de militants et sympathisants présents.
Le cœur lourd et la vue complètement brouillée, je me pressai à sortir de la salle, de la maison, du parti UFP et probablement de tout militantisme partisan.
Quelques mois après l’UFP siégera avec Sidi  Mohamed Ould Cheikh Abdallahi dans le même gouvernement.

(À suivre)