Dans l’ombre des pouvoirs militaires (15) : Triste campagne municipale à Voursakane Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

21 April, 2022 - 01:22

L’année suivante verra l’organisation d’élections municipales au niveau des communes rurales du pays. La commune de, appelons la «Voursakane », en faisait partie. Dans le découpage électoral  Mohamed-Allou, avec la complicité des services compétents,  avait  fait en sorte que notre localité fasse partie de la commune de Voursakane. Elle en est pourtant éloignée de plus d’une trentaine de kilomètres, jonchée de dunes, de forêts et de marigots. Alors que notre localité se situe à peine à une vingtaine de kilomètres de  la ville de Leikhcheim  sur le bord du même lac qui lui a donné son nom.

Un découpage discriminatoire

Les événements raciaux de 1989-91 impacteront fortement le découpage de la commune de Voursakane en faisant  étendre au maximum les frontières nord de la commune pour y inclure le plus grand nombre d’électeurs de souche maure et réduire par-là les électeurs négro-africains. La présence d’un haut fonctionnaire au ministère de l’intérieur, originaire des communautés Haratine de la zone de Voursakane favorisera cette option, délibérément discriminatoire. Le frère de ce dernier fut désigné à la tête de la liste candidate présentée comme étant celle de la communauté maure.
Sa liste faisait face à une liste dirigée par un richissime négro-africain, originaire du village de Voursakane. Dans cette liste, notre collectivité était représentée par le neveu,  feu Jemal. Nos parents avaient basculé presque tous du côté de cette liste. Ils  étaient certainement  motivés par leurs récentes luttes contre les discriminations dont ils avaient été l’objet durant les événements de l’école de Teychtayatt. Encouragés également par mon propre passé militant des idées unitaires et antiracistes  du mouvement  MND.
Sur une quarantaine de regroupements, seule notre collectivité avait soutenu  la liste défendant  les populations négro-africaines encore nombreuses dans la zone avant l’enclenchement des événements raciaux. Notre région faisait partie de celles frontalières du fleuve. Les administrations régionales et locales de ces zones furent judicieusement choisies parmi les  extrémistes des  élites des courants chauvins les plus obscurantistes. C’était ainsi qu’au niveau de notre propre wilaya (région), le Wali et cinq des six Hakems  appartenaient à la même collectivité tribale résidant dans un seul département de l’Est du pays.

La confrontation extrémiste

 Ils faisaient partie d’un dispositif sélectionné et mis en place en vue de l’exécution des différents volets tragiques du plan d’action envisagé. Leur tâche sera facilitée par l’extrémisme et le racisme primaire d’une organisation négro-africaine qui affichait au grand jour sa haine de l’autre et son option violente. Ses éléments aigris et coléreux n’hésitaient pas à provoquer et à s’attaquer par les méthodes les plus violentes aux personnes appartenant à la communauté jugée par eux comme responsable de tous leurs maux.
Aucune dose de compromis, ni aucun signe d’esprit de réconciliation ne figurait dans leur funeste programme. Donc la confrontation entre les démons de la division était inéluctable. Ainsi donc notre campagne au niveau de la commune de Voursakane sera fortement affectée par ce climat général déjà largement souillé par l’extrémisme de tous bords. Même notre tête de liste et son entourage immédiat furent affectés  par le climat ambiant. Il était si lié à un ami à lui, futur président d’un sénat et d’une république aussi. Nous étions souvent ensemble.
Comme mon ami, tête de liste, n’était nullement doué en politique, je l’assistais de près pour limiter ses éventuelles gaffes. C’était un cadre technique de grande valeur dotée d’une intelligence exceptionnelle. Lui et son ami, futur VIP, manifestaient beaucoup d’admiration pour ma façon de diriger sa campagne. Mais en même temps ils n’arrivaient pas à cacher leur hostilité à mon ancien mouvement le MND et à ses idées unitaires. Une fois je prenais le thé avec mon ami tête de liste LXK et son ami à lui BXM dans le bureau du premier. Subitement mon ami me regarda avec un air légèrement perturbé. Puis, un peu essoufflé,  il me dit : « Hé Cheddad, est-ce que tu sais que BXM  là n’aime pas le MND ?! ».
 Sur le même ton et en mimant le même essoufflement,  je répliquai aussitôt : « Hé, LXK, est-ce que tu sais toi que le MND n’aime pas BXM là ?! », en braquant mon regard sur BXM. Il y eut quelques fractions de seconde de silence. Puis suivirent des éclats de rire  assez gênés de la part des deux. Mon ami LXK réussit à changer rapidement de sujet, nous éloignant ainsi de l’échange éclair,  sans commentaire. La pression de l’administration finira par faire gagner la liste adverse, connue sous le nom de « liste Elbidhane ou  liste des maures » par opposition à notre liste appelée « liste de Lekwar ou liste des négro-africains ».

Liste de Elbidhane ou liste de Lekwar, généralement, on use sciemment  des noms des pauvres communautés pour servir en fin de compte un nombre réduit d’intérêts égoïstes et au détriment des larges masses des deux  communautés.
Nous avons pourtant mené une campagne des plus vigoureuses. Les meneurs de la liste adverse furent acculés dans une position défensive permanente.

Les paysans aux cols blancs

L’impact d’un phénomène extérieur a dû jouer. Il s’agissait d’un afflux grandissant d’agriculteurs, étrangers  à la zone et même souvent étrangers à toute activité agricole.  Après l’expérience réussie de la culture du riz entreprise par les Chinois dans le périmètre de la zone de Mpourié à l’ouest de Rosso-ville, des migrants venant d’autres régions, souvent des commerçants, commencèrent à investir dans la Chamama ou zone agricole longeant le fleuve Sénégal.
Ils étaient fortement soutenus par l’Etat par l’intermédiaire d’un crédit agricole mis sur pied à la hâte pour une telle fin. Les généreux crédits aux nouveaux agriculteurs sont presque gratuits puisque rarement remboursés. A l’aide de leurs moyens financiers importants, les nouveaux « agro-commerçants », ou « agro-militaires » et aussi agro-hauts fonctionnaires » (retraités ou en activité), tous,  s’étaient appropriés de grands espaces agricoles, des fois par achat au plus bas prix possible aux pauvres paysans,  souvent par simples expropriations avec l’appui direct de l’Etat.
Je me suis familiarisé avec un certain nombre des nouveaux riches paysans autour de mon ami LXK, qui d’ailleurs, bien que différent d’eux au plan ethnique, mais se confondait avec eux du point de vue économique. Ils étaient presque tous  du même âge que moi. Aussi ils étaient accueillants et souriants, toujours prêts à rendre service. Ils m’offraient tout sauf la proposition d’intégrer leur domaine vert à l’aide d’un prêt du crédit agricole. Ici, il faut reconnaître que je n’ai jamais mis à l’épreuve leur disposition sur ce plan du moment que je n’avais  jamais exprimé directement ou même indirectement la moindre demande expresse sur ce sujet.                             

Le rôle social de la SONADER            .

En réalité, le climat de discrimination raciale suffisait pour maintenir ma mobilisation du côté des victimes,  en ce moment les négro-africains. D’autre part, j’étais en réalité ébloui par la révolution verte que concrétisaient sur le terrain les nouveaux paysans aux cols véritablement blancs, aux jolis sourires et au tagine succulent.  Il y avait pourtant une société agricole, appartenant à l’Etat, la SONADER, qui encadrait de nombreux petits paysans au niveau de leurs petits périmètres.
Pour moi, ce niveau modeste d’agriculture pourrait à la limite subvenir aux besoins alimentaires les plus élémentaires des pauvres paysans. Il  n’offrait jamais des perspectives pour  de profondes transformations du secteur agricole. D’ailleurs, comme chez nous, au niveau du lac Lekhcheim, la masse de paysans qui s’adonnait encore à l’agriculture par des moyens traditionnels, était appelée à disparaître.

Un choix embarrassant

 En fait,  elle est  maintenant en voie d’extinction avancée. Les descendants de ces paysans traditionnels, fils et petits-fils étaient depuis attirés par les activités dans d’autres secteurs, des activités  moins précaires  et générant des  gains plus rapides. Il se pourrait que j’eusse  tort  de penser ainsi. J’avais très probablement tort de rompre avec des convictions d’antan qui militaient en faveur des paysans pauvres. Sous l’influence du  bon sens, je ne voyais pas de perspectives leur permettant de dépasser leur bas niveau de pauvreté  et les mettant à l’abri des harcèlements des classes nanties. Et si mes si chers amis HFD et YHY s’étaient efforcés de m’aider à l’époque à intégrer leur milieu, est-ce que j’aurais un jour l’occasion de produire une réflexion, sur une situation qui mérite réellement qu’on y réfléchisse à partir d’une position plus ou moins indépendante ?
Peut-être que non, peut-être que oui. J’espère que l’occasion s’offrira rapidement à moi pour discuter la question avec les amis HFD et YHY, heureusement encore en vie.

 

 

(A suivre)