M. Diop Abderrahmane, nutritionniste/diététicien et spécialiste en sécurité sanitaire des aliments : ‘’Si Ramadan est en principe bon pour le corps, les comportements que nous adoptons parfois durant son mois peuvent en anéantir les bienfaits’’

31 March, 2022 - 00:25

Le Calame : Le mois béni du Ramadan démarre dans quelques jours. Comment s’y préparer du point de vue nutritionnel?

Diop Abderrahmane : Effectivement, le Ramadan, c’est dans quelques jours. Les premiers sont toujours difficiles, les gens ont tendance à ressentir la fatigue et le stress. Certains disent que c’est probablement de n’avoir pas bu du café ou du thé dans la journée, d’autres évoquent le manque de sommeil ou encore, la privation de cigarettes, pour ceux qui fument. Pour éviter tout ça, il faut que vous prépariez votre organisme à accueillir le mois sacré. Une des solutions pour pallier à tous ces problèmes, c’est de changer les horaires du petit déjeuner : le prendre un peu plus tard que d’habitude ou très tôt le matin (7h-7h30 voire 6h30) de manière à ce que cela ressemble déjà au repas de l’aube que nous prenons pendant le Ramadan. Autre astuce ; repousser petit-à-petit  l’heure du repas de la mi-journée jusqu’à le rapprocher du dîner ou encore de la rupture du jeûne. Avec ce rythme votre corps sera prêt, déjà habitué au rythme de vie du Ramadan, et cela vous permettra de passer les premiers jours de celui-ci sans soucis. Il est aussi recommandé de diminuer la quantité de café ou du thé de manière progressive avant le Ramadan. C’est également valable pour les fumeurs qui ont tout intérêt à diminuer peu à peu le nombre de cigarettes qu’ils fument.

Ceux qui ne boivent pas assez d’eau doivent au contraire en augmenter le volume avant le Ramadan, pour éviter de débuter celui-ci déshydratés. Buvez sept à huit verres d’eau par jour, au rythme d’un verre par heure ; mieux : toutes les trente minutes, soit entre dix et quinze verres par jour.

 

 - Pendant ce mois béni, les gens ont la propension de multiplier les plats, ils les consomment de manière très peu espacée, boivent beaucoup et dorment peu. Y’aurait-il des plats et boissons à privilégier pendant les longues soirées ramadanesques ?

- La boisson la plus aimée du corps, c’est l’eau. Bien sûr ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas boire d’autres boissons, mais ce doit être en petite quantité – à tout le moins, en quantité raisonnable – et surtout sans ou moins de sucre ajouté. Les plats que nous consommons avant le Ramadan peuvent également être encore ceux du mois béni, il ne devrait pas y avoir de grands changements. Mais, comme je le dis toujours, le Ramadan est une opportunité de perdre nos mauvaises habitudes alimentaires et de manger le plus sainement possible : plus de légumes et fruits, poissons, viande blanches et œufs ; limiter ou éviter les aliments frits ou sucrés comme les viennoiseries, les gâteaux, les pains au chocolat, les croissants.

Autre chose : Ramadan n’est pas synonyme de gavage… le nombre de repas ne devrait pas augmenter, bien au contraire. Nous devons revoir ce que nous mangeons. Il ne s’agit pas de manger plus mais de manger mieux et sain, contrôler la qualité.

 

- Certaines personnes disent que jeûner est bon pour la santé. Etes-vous d’accord ?

- D’une manière générale, jeûner est bienfaisant pour la santé de l’individu. A priori, le jeûne régule le sucre dans le sang, en diminue le taux de mauvais cholestérol, aide à perdre du poids, renforce notre système immunitaire et contribue même à combattre les cancers. Malheureusement, avec les mauvaises habitudes que nous prenons pendant le Ramadan, ses bienfaits peuvent ne pas être ressentis. À titre d’exemple, nous savons tous que dormir la nuit est très important et fructueux, surtout quand nous dormons très tôt. Cela nous permet de récupérer au mieux après une fatigue physique et psychique et c’est en dormant que les capacités de mémorisation se renforcent. Il est également connu que se priver de sommeil de bonne qualité – dormir tôt et assez, comme je viens de le dire – peut engendrer une augmentation du poids, ainsi que du taux de sucre et de mauvais cholestérol dans le sang. À long terme, provoquer des pathologies comme le diabète ou des troubles cardiovasculaires.

Autre exemple : la consommation des boissons locales, comme le bissap ou le bouye, augmentent de manière extraordinaire durant le Ramadan. Elles sont en général concentrées et nous y ajoutons donc beaucoup de sucre dont nous ingurgitons des quantités importantes pendant les nuits de Ramadan. Or nous savons tous que le sucre est lié à de nombreuses pathologies, notamment le diabète et l’obésité. Si Ramadan est en principe bon pour le corps –il est de nature à le purifier… –les comportements que nous adoptons parfois durant son mois peuvent en anéantir les bienfaits.

 

- Des personnes soumises à un régime alimentaire ou souffrant de certaines pathologies (anémie chronique, dysfonctionnements cardiaques, etc.), peuvent-elles jeûner sans courir de gros risques ? Si oui, comment ?

- Déséquilibre de la tension et accident cardiaque ou cérébral sont les principaux risques que courent les personnes hypertendues. Tout comme une personne diabétique peut connaître de graves problèmes. Les personnes souffrant d’une quelconque pathologie doivent donc impérativement s’assurer auprès de leur médecin qu’elles peuvent jeûner et du changement horaire de leurs éventuelles prises de médicaments. Le médecin est le seul à pouvoir leur donner l’autorisation de jeûner. Une fois celle-ci accordée, la personne concernée doit impérativement consulter un nutritionniste qui lui indiquera les règles alimentaires préventives adaptées à son cas.

À titre d’exemple, la personne diabétique autorisée à jeûner doit mesurer sa glycémie au moins trois fois jours : début de la matinée, milieu de la journée, juste avant ou après la rupture. En cas d’hypoglycémie – moins de 0,7 g/l – il est primordial de rompre le jeûne et de consommer des glucides à action rapide. Il faut également arrêter de jeûner en cas d’hyperglycémie, c’est-à-dire lorsque le taux dépasse 3 g/l. Il est aussi déconseillé d’effectuer des activités physiques intenses – parfois même légères – pendant les journées de jeûne car cela peut entraîner une hypoglycémie.

Au moment de la rupture, mangez une à trois dattes au maximum, suives d’une soupe de légumes, lentilles, niébé ou bouillie à base de blé local, sans sucre ajouté. Prendre, trente à soixante minutes plus tard, le plat principal contenant essentiellement des légumes, de la viande blanche, du poisson ou des œufs, ainsi que des légumineuses. Remplacer les produits sucrés, viennoiseries et autres par des légumes et des fruits. Éviter des manger des aliments frits et riches en graisse. Remplacer le pain blanc par du pain complet. Il faut aussi boire suffisamment d’eau, c’est valable pour tout le monde. Si vous voulez consommer des boissons comme le bissap, le bouye ou le zrik, évitez le sucre.

Essayez de retarder le souhour au plus près de l’heure le clôturant. Et veillez à ce qu’il contienne tous les composant nutritionnels nécessaires, privilégiez les grains complets, les légumes, les fruits en eau et les légumineuses (niebé, lentilles, petits pois frais…) riches en fibres. Répétons-le encore : si une personne atteint d’une pathologie a obtenu l’autorisation de jeûner auprès de son médecin, elle doit être suivie par un nutritionniste qui l’aidera à suivre les bonnes règles et à éviter toute complication de son état.

 

Propos recueillis par Dalay Lam