Monsieur Mohamed Ali Bilal, directeur du Centre de TERANIM pour les Arts populaires : ‘’Nous sommes victimes d’un ostracisme que nous ne comprenons pas’’

10 February, 2022 - 08:45

Le Calame : Vous êtes directeur du centre TERANIM pour les arts populaires vulgarisant le Medh. Quelle est l'origine de ces chants religieux, appelés également « louanges au Prophète (PBL) » ? Quelle place occupe le Medh dans notre patrimoine culturel ?

Mohamed Ali Bilal : Je dirige le centre TERANIM pour les arts populaires, une institution spécialisée, non seulement, dans la musique d’El Medh mais, aussi, dans tous les arts populaires relevant du patrimoine non matériel. TERANIM met un accent particulier sur El Medh, une musique spirituelle dédiée aux louanges envers le prophète Mohamed (PBL). On la trouve dans la plupart des pays musulmans. Sa particularité est d’avoir été pratiquée par des esclaves et des esclaves affranchis. C’était pour eux l’occasion de connaître Allah, le Prophète et l’islam. C’est également un moyen d’évasion, de refuge et d’échappatoire après de rudes journées de servitude. Ces louanges au Prophète (PBL) sont très ancrées dans l’histoire de notre pays. Tout le monde s’y est attaché parce qu’elles magnifient le prophète de l’islam (PBL) sur lequel nous prions tous les jours.

 

- Quels sont, plus précisément, les thèmes abordés par le MEDH?

- Comme je viens de le dire, le Medh s’est construit autour de la vie du saint prophète de l’islam Mohamed (PBL). Il parle de l’homme, de sa vie exemplaire de tous les jours, des guerres qu’il  mena pour protéger et étendre l’islam, de ses rapports avec ses compagnons, etc. Dans ses thématiques, le Medh magnifie la paix, la justice et la cohésion sociale dont le Prophète (PBL) était porteur et dont notre pays a encore et toujours besoin. Le Medh, en Mauritanie, est ce que représente le Gospel aux États-Unis d’Amérique.

 

- Dans une conférence de presse que vous avez organisée il y quelque temps, vous avez dénoncé une certaine« marginalisation », dans les grands évènements culturels internationaux, des arts populaires comme le MEDH. Vous avez également regretté l’espèce de « complexe » du ministère de la Culture à afficher certains pans culturels de notre diversité. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

- Effectivement, nous avons organisé une conférence de presse dressant le constat de ce que les pratiquants des arts populaires, en particulier ceux du Medh, sont radicalement exclus des manifestations culturelles organisées par l’État ou de celles où il est invité. Nous entendions déplorer et dénoncer cette posture du département de la Culture. Les louanges au Prophète (PBL) ne sont certainement pas moins importantes que les autres musiques traditionnelles dont les pratiquants sont invités à gros renforts de moyens dans les différentes manifestations culturelles de notre pays. C’est une exclusion que nous ne comprenons pas. Et, visiblement, le Ministère de la Culture ne veut pas changer cette image malheureusement écornée de la Mauritanie. À l’occasion des grands évènements internationaux, ce département ne montre qu’une seule couleur, une seule culture, un seul art : la poésie arabe. Certes, nous ne sommes pas contre la poésie arabe ni contre ses poètes mais la Mauritanie est un pays de diversité culturelle et nous pensons qu’il faut montrer tous les arts culturels pratiqués par d’autres couches sociales de notre  pays. C’est le minimum que ce ministère doit faire. À défaut, nous considérons cela comme un complexe de la part des responsables de ce département. C’est néfaste pour eux et pour la Mauritanie. Ils ne mesurent pas le préjudice et le gâchis qu’ils font subir au pays. C’est cela que nous dénonçons et déplorons.

 

- Étiez-vous à l'Expo Dubaï 2020 ?

- Non. Malgré neuf années d’expérience dans le domaine et notre expertise en matière d’organisation de festivals – nous l’avons prouvé à chaque occasion – nous n’avons pas été conviés à faire partie de la délégation mauritanienne à l’Expo Dubaï 2020. Nous ne savons pas pourquoi. Ce qu’on sait, par contre, c’est que TERANIM est victime d’un ostracisme qui ne se justifie pas, comme je l’ai expliqué tantôt.

 

- Vous avez effectué récemment une tournée en certaines localités des deux Hodh. Pouvez-vous nous livrer vos impressions ?

- TERANIM travaille sur différents volets culturels : les arts populaires, le Medh et son festival annuel qui se tient chaque 17 du mois béni du Ramadan. Nous nous employons également à renforcer les capacités des membres de notre groupe et travaillons sur un volet académique avec des partenaires étrangers. Le centre met aussi l’accent sur la recherche et la découverte. C’est d’ailleurs dans ce cadre que TERANIM a organisé, il y a quelque temps, une grande caravane à l’intérieur du pays, appelée « Bewah». L’objectif était d’aller à la découverte de nouveaux talents que nous ne pouvions pas faire venir à Nouakchott. Nous avons été surpris par la richesse et la virtuosité des populations des coins les plus reculés du pays. Nous avons déplacé toute une équipe pour enregistrer et filmer les soirées culturelles sur place. Notre public aura, sous peu, l’occasion, de découvrir cette grande moisson sur laquelle nous travaillons depuis notre retour à Nouakchott.

Au terme de cette caravane, nous avons éprouvé un immense sentiment de joie et de satisfaction d’avoir mis à jour cet immense trésor de musique populaire et artistique encore vivace dans nos terroirs. Nous avons rencontré de très grands artistes qui produisent de la musique et de l’art purs qui pourraient hélas disparaître sans être connus du grand public ni légués aux jeunes générations, s’ils ne sont pas conservés et protégés par les responsables de la Culture. C’est de la responsabilité de l’État de conserver cet art divers et varié qui constitue un pan important de notre patrimoine culturel.

 

- De quels moyens disposez-vous pour mener vos activités ?

- TERANIM tire sa force des talents de sa riche équipe reflétant toute la diversité de la Mauritanie. Tous ses acteurs sont connus pour leur compétence, leur dévouement et leur engagement qui placent notre groupe en leader national. C’est aussi notre gage de succès. L’autre atout de TERANIM, c’est la fidélité du public qui lui voue respect et admiration, participe régulièrement à nos manifestations et nous encourage à persévérer. Aussi à résister, parce que c’est un vrai combat que nous avons engagé. TERANIM compte également sur quelques rares personnalités qui ont choisi de nous accompagner depuis nos premiers pas et c’est ici une belle occasion de les remercier publiquement.  Enfin, le centre arrive à mener ses activités grâce à des manifestations culturelles et artistiques que ses membres – tous polyvalents –sont à même d’organiser au profit d’autres institutions. C’est vous dire que nous survivons dans le besoin. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir de grosses ambitions pour atteindre notre objectif de perpétuer les arts populaires.

 

- Un dernier mot ?

- Pour conclure, nous tenons à vous remercier et, à travers vous, la rédaction du Calame, pour l’occasion que vous nous avez offerte d’évoquer le Medh que le centre TERANIM perpétue. C’est aussi l’occasion de remercier notre cher public, nos fans et les personnalités qui ont choisi de nous accompagner. Nous en profitons également pour annoncer notre 9èmeédition. Nous nous préparons activement à cet événement, spécial en ce qu’il sera dédié à notre défunt et cher collègue, Cheikh El Hassan Bambari qui était responsable de la communication du Centre ; un grand homme, brillant, ouvert et apprécié de tous. C’est aussi un évènement spécial, en ce que, contrairement aux éditions précédentes qui se tenaient au Village de la diversité, aujourd’hui démoli pour y mener d’autres activités, cette 9èmeédition se déroulera à la Foire de Nouakchott qui répond tout-à-fait aux besoins, puisqu’elle peut accueillir plus de sept mille personnes chaque soir. Mais c’est un site qui demande beaucoup de moyens : logistique, transport et sécurité. Aussi lançons-nous un appel vibrant aux bonnes volontés pour réussir le challenge.

 

Propos recueillis par Dalay Lam