Unité nationale : En parler nécessairement

18 December, 2014 - 01:14

L’unité nationale fait beaucoup jaser. Comme si l’on venait, soudain, de se rappeler de sa nécessité. Pourtant, les maux dont elle souffre ne datent d’hier. Il aura certainement fallu que les revendications fusent d’organisations comme IRA, FPC (ex-FLAM), El Hor, COVIRE, TPMN, AJD/MR ou de cahier de doléances, à l’instar du Manifeste des Harratines ou celui des Soninkés, pour que le pouvoir et les partis politiques se rendent à l’évidence.

 

Des revendications « communautaristes »

Le gouvernement de la République aurait, dans ses cartons, un projet de forum sur l’unité nationale. Celui-ci aurait, pour mission, de débattre des maux qui affectent la cohésion sociale et de ce qu’on veut faire de notre Mauritanie commune. Depuis les années soixante, la composante noire du pays (Négro-mauritaniens et Harratines) dénoncent leur marginalisation à tous les niveaux par un « système raciste et esclavagiste » tenu par la « composante beïdane. » Et, depuis quelques temps, ces organisations noires ont décidé, semble-t-il, de passer à la vitesse supérieure : elles multiplient les manifestations dans la rue et dans les media, se rencontrent, discutent, pèsent et structurent leurs doléances. Des revendications que devraient prendre en charge, non seulement, le pouvoir mais aussi les partis politiques et la société civile. Mirage ?

 

Pare-feu ?

Le gouvernement semble pourtant prendre la mesure de cette tension croissante. Le forum en gestation débattrait, croient savoir les observateurs et certains responsables politiques du pouvoir, de plusieurs thèmes : les « séquelles » de l’esclavage, le passif humanitaire… Des dossiers chauds, en dépit des mesures prises pour les solder définitivement. Si le pouvoir a décidé de criminaliser l’esclavage et ses séquelles, de reconnaître le tort infligé à la communauté négro-mauritanienne,  entre 1986 et 1991, ces mesures sont jugées très insuffisantes, par la composante noire du pays qui réclame, entre autres, plus de droits, l’égalité des chances entre tous les fils du pays, le partage équitables de ses ressources…

Face à ces revendications, le pouvoir a réagi par des menaces puis des arrestations. Dans son discours d’investiture, en août dernier, et son adresse à la Nation, à l’occasion du 54ème  anniversaire de l’Indépendance, le président de la République s’en est pris à ceux qui, selon lui, tentent, par leurs discours, de saper l’unité nationale : « Nous nous opposerons farouchement aux tenants des visées racistes, particularistes, tribalistes ou grégaires qui menacent notre cohésion sociale et notre unité nationale.» Pour les observateurs, le refus d’autoriser la tenue du congrès des FLAM dans un hôtel de Nouakchott, en août, comme du meeting des victimes de la répression des années 86-91, le 28 novembre dernier, ainsi que l’arrestation de Biram, peu avant cette date, participeraient d’une même stratégie du pouvoir à combattre ceux qu’il considère comme « communautaristes ».

Le rapprochement des « opprimés  noirs » de la République Islamique de Mauritanie s’est également renforcé d’un FNDU qui se restructure et muscle son discours, avec les sorties de l’ancien président Ely ould Mohamed Vall, qui tire, à boulets rouges, sur le pouvoir en place. Une conjugaison de facteurs qui aurait amené le pouvoir à sortir de son silence, pour ne pas se laisser déborder.

 

Casser la dynamique unitaire des « opprimés ?»

En décidant, aujourd’hui, d’organiser un forum sur l’unité nationale, certains observateurs et  hommes politiques suspectent le pouvoir en place de viser des objectifs moins avouables. D’abord, casser la dynamique unitaire des « marginalisés » ou des « communautaristes ». Le rapprochement, entre les Harratines et les Négro-mauritaniens, semble vivement inquiéter certains « extrémistes  arabes ». C’est pourquoi la campagne de lutte contre l’esclavage et ses séquelles, avec le concours des imams, via leurs qotbas du vendredi, couplée à un mouvement, imminent, de promotion des cadres harratines pourrait être considérée comme une opération de charme envers cette couche.

Le forum pour l’unité nationale risque fort de se muer, si de telles allégations sont vérifiées, en une espèce de « récupération ». Ce serait dommage. Une autre occasion perdue, pour la Mauritanie, de solder ses maux, afin d’envisager l’avenir dans la sérénité. De toute évidence, nous n’en sommes pas encore là.

DL