De l’histoire des Kadihines (13ème) épisode : La fuite d’une prison fortement gardée/Par feu Beden Ould Abidine

22 April, 2021 - 03:26

En 1973, les autorités réussissent un coup de filet exceptionnel, elles  parviennent  à mettre la main sur notre camarade Mohameden Ould  Ichidou à la kebba pour l’amener aussitôt en prison parmi des collègues à lui déjà sous les verrous. A l’intérieur de la prison, ses geôliers se mirent à le maltraiter. Profitant  du moment précis  et aussi précieux,  où les geôliers se ruaient sur un autre détenu le camarade Vadel Ould Dah, Mohameden Ould Ichidou sauta l’enceinte de la maison servant  de prison pour disparaitre dans le quartier environnant. Il rejoignit une cache souterraine  non  loin de là. Les camarades trouvés là-dans se mirent à le camoufler de plus.  Le lieu était couvert par une famille d’apparence très modeste: le père, la mère et les enfants. Des ustensiles divers de thé et de cuisine complètent le décor.
La police fit irruption chez eux. Elle  se mit à fouiller de fond en comble leur modeste demeure. A leur arrivée, les membres de la famille étaient absorbés par leurs rites religieux : les uns priaient. D’autres récitaient le coran ou psalmodiaient des prières. Déçu par le spectacle, le chef policier ordonna à ses hommes d’arrêter et de sortir en vociférant : « ceux-ci ne sont nullement des Kadihines ! ».

Pour plus de détails passons la parole au premier concerné, Mohameden Ould Ichidou. Dans son style bien connu, il  nous édifiera plus sur cet événement rocambolesque : « Après une recherche intense, je fus arrêté à la kebba. Je vivais  en ce moment parmi des jeunes chargé de diverses tâches. Moi, je m’occupais du Comité d’Action Révolutionnaire Local(CARL).Mon arrestation était considérée  comme un échec cinglant à notre mouvement et un succès retentissant du régime répressif d’alors. Il fallait relever le défi. Après un court séjour au Commissariat Central, je fus transféré avec d’autres camarades, parmi eux feu Ahmed Ould Khoubah, paix à son âme et Ely O Boubout (à qui nous souhaitons longue vie), vers un lieu de détention au Ksar qui servait de point de rassemblement  de nombreux détenus venant de divers commissariats de police avant d’être conduits à la sinistre  prison de Beyla.
Puis viendra la nuit d’enfer, une nuit entièrement blanche, pas uniquement à cause des festivités organisées par de nombreux essaims de moustiques jusqu’à l’aube fêtant ainsi l’arrivée de nouvelles proies, de nouveaux détenus, mais à cause surtout d’une bataille rangée dans la salle contigüe à ma cellule dans laquelle la police s’acharnait contre un nouveau détenu qui ne saurait être que mon ami Vadel Ould Dah. Je n’étais pas au courant de son arrestation et de sa venue ici. Aux coups  répétés de ses tortionnaires, Vadel criait à chaque fois en arabe et en français et  à haute voix : « à bas le fascisme ». C’était l’un de nos slogans favoris. Je me demandais en ce moment si le juriste qui présidait aux destinées de notre pays et sortant des meilleures écoles juridiques dans le pays symbole de la démocratie et des droits de l’homme, était au courant de la pratique sans retenue de la torture de la part de sa police ?
Le lendemain matin, c’était mon tour. On m’a conduit dans la salle de torture. Plusieurs policiers bien costauds me livrèrent à mes tortionnaires, deux commissaires connus pour leur atrocité. Tous les deux appartenaient à ma région, à mon lieu de naissance. Je ne me rappelle pas qu’ils m’avaient posé la moindre question. L’un d’eux, le plus célèbre dans la haine des Kadihines, ordonna de me déshabiller complètement. Il m’asséna une terrible gifle. Je ne suis pas tombé. J’avais préparé tout mon corps pour résister à la violence attendue de la gifle. J’étais aussi coincé entre ses hommes qui me retenaient solidement entre eux. Comme j’ai résisté à sa gifle, il se mit à insulter les jeunes et les Kadihines. Il menace de revenir la nuit suivante, «la nuit décisive », comme il l’appelle.
Entre-temps, j’ai arrêté ma décision, celle qui me travaillait depuis mon arrestation. Il fallait taper dur sur le moral et l’arrogance de mes tortionnaires et de leurs commanditaires. Pourtant notre surveillance était stricte. Deux pelotons de la police se relayaient toutes les 24 heures.  Pas d’issue visible pour échapper à mes geôliers. Les deux officiers chargés de ma surveillance étaient de caractères diamétralement opposés.
L’un d’eux était dur et particulièrement haineux à notre égard. L’autre, du nom d’Ahmed Ould Mbeyrik (à qui je souhaite longue vie), était de caractère modéré. Il préférait accomplir son devoir d’une façon régulière sans excès et sans exagération. En dépit de cela ma décision fut d’agir durant la surveillance de l’arrogant policier. J’ai pris soin de bien étudier les conditions de l’espace du bâtiment servant de prison (en fait pour innocents). J’ai décelé une ouverture dans la douche au toit fragile et qui était séparée du reste de la maison. Ce sera par-là que je prendrai le large. Depuis quelques jours je simulais la maladie et la fébrilité.
Un peu prés d’une demi-heure, après la prière du Maghreb, j’avais manifesté le désir de prendre une douche. Deux gardiens m’accompagnèrent jusqu’à la porte en bois  de la douche. Un vague doute se lisait sur leurs visages. Je me suis engouffré dans la douche en prenant soin de l’enfermer sur moi. J’ouvris le robinet au maximum. L’eau coula à flot en provoquant un bruit assourdissant. Pour rassurer mes gardiens, je me suis mis à  exprimer à haute voix la joie que je semblais éprouver du chatoiement de l’eau sur mon corps.
Se servant du tuyau du robinet j’ai pu accéder au plafond pour le défoncer immédiatement. Sans perdre une seconde, en s’appuyant sur les bords des murs de la douche, je sautais dans la ruelle en face. J’étais accueilli par une terre molle et sans débris quelconques qui pourraient me blesser. Je me mis aussitôt à courir. Dans ma jeunesse j’étais très bon coureur.
Je ne me rappelle pas le temps pris dans ma course. Tout ce que je retenais est que un peu plus d’un quart d’heure après,  je m’étais précipité dans l’une de nos planques souterraines au Ksar. Les camarades qui s’en chargeaient m’enterrèrent si vite dans un coin sûr de la planque. Je quitterai Nouakchott peu de temps après. J’apprendrai plus tard qu’après une longue attente, mes gardiens finirent par briser la porte de la douche pour y trouver uniquement l’eau qui continue à couler à flot, un boubou suspendu au mur et le plafond de la douche défoncé. Les jours suivants, tous les quartiers de la ville de Nouakchott seront soumis à une fouille systématique. Même l’intérieur du pays n’a pas été épargné : la campagne de recherche s’était étendue à toutes les villes et campagnes de l’intérieur. Ould Ichidou n’était plus le seul visé par la recherche policière. L’ensemble des militants et sympathisants actifs étaient désormais activement recherchés.
Situation  qui va continuer sans interruption jusqu’à l’amnistie générale couvrant tous les détenus politiques. Les vaillants camarades des Tâches Spéciales, avec à leur tête l’intrépide Beden Ould Abidine, avaient réussi à  couvrir tous nos militants recherchés jusqu’à l’heureux événement de l’amnistie de 1975 après lequel ils sont tous sortis la tête haute, submergés par un sentiment réel de victoire sur l’ennemi. 

Voyage à dos de chameau

La sortie de Nouakchott constitue un récit à part. C’est ainsi que le camarade feu Mohamed Salem Ould  Atigh (paix à son âme) en s’aidant de son frère Mohamed El Mokhtar Ould  Mahi (paix à son âme), avait réussi à me ménager un chameau équipé en selle et tout le nécessaire pour un long voyage.
Une nuit à l’extérieur de la ville de Nouakchott, les camarades avaient pris congé de moi et mon compagnon dans le voyage soigneusement préparé par leurs soins. La ville de Rosso était la direction programmée.
En route, on déambulait calmement sur notre chameau. On donnait l’impression d’être de véritables bergers nomades à la recherche de meilleurs pâturages ou de bêtes égarées. Nous arrivions à Rosso deux jours après. Là, les camarades nous reçurent chez une famille au quartier Diourbel à l’est de la ville de Rosso. Mon compagnon est revenu à Nouakchott sans problème à dos de son chameau. Deux jours après, nous traversâmes le fleuve à l’aube  à l’aide de camarades spécialisées dans le domaine. Cette fois-ci en direction de Saint Louis du Sénégal. Là, j’ai rejoint le groupe de Sayhat Elmadhloum mené par le camarade Taleb Mohamed Ould Lemrabott, secondé par les camarades Abdellahi Ould Ismail et Limam Chérif.
A Saint Louis, j’ai tourné dans plusieurs quartiers de la vieille métropole coloniale. Comme couverture, j’y ai même pratiqué le commerce de détail pendant un certain temps. Le retour à Nouakchott aura eu lieu un peu plus tard.

(A suivre)