Nouvelles d’ailleurs : Femmes et violences...

11 December, 2014 - 00:35

Quand on parle de violences faites aux femmes, chez nous, tout le monde a une vision personnelle de la chose. Parler des violences renvoie aux regards que nous portons sur nous-mêmes. Partant du principe – sacrosaint principe – qui voudrait que nos femmes sont aimées, choyées, chantées, il est facile de se voiler la face. Autant la condition de la femme mauritanienne est différente de la condition de sa consœur du monde arabe, en cela qu'elle a liberté d'actions, héritage du matriarcat berbère, autant faire credo de ce que nos femmes soient bien traitées est trompeur.

Nous avons nos parts de violences, nos parts d'innommables, de viols, d'incestes, de violences conjugales, de meurtres, de pédophilie... En cela, nous ne différons pas du reste de l'espèce humaine. Pour certains hommes, la femme est territoire de guerre, prise de guerre, butin, objet de pressions, objets de chantages. Le corps de la femme est arme de guerre. Trophée, médaille, stratégies, douleurs, attirance/répulsion.

Les discours religieux extrémistes n'arrangent pas ces visions. A force de faire de la femme le symbole de tous les péchés du Monde, on nous enferme dans une vision nihiliste, entachée d'un pseudo-péché. Pour ces zélotes fanatiques, la femme est responsable de tout, en premier des comportements masculins. Il nous faut nous cacher, nous nier, nous effacer de l'espace public, crever nos yeux, nos beautés, couper nos langues, nous enterrer sous un voile intégral... « Cachez ce corps que je ne saurai voir ! ». La femme étant impure par essence, il faut tout faire pour l'effacer.

Quand on n'aime pas les femmes à ce point-là, comment parler, accepter de parler des violences faites aux femmes ? Nous sommes aussi violents que n'importe quelle autre société. Mais nous avons enfermé nos violences dans tout un corpus « flatteur » qui fait de ces violences une quasi-beauté. Et, surtout, on apprend aux femmes elles mêmes à accepter ces violences.

Toutes les violences ne sont pas physiques, loin de là. Les pires des violences ne sont pas celles qu'on voit sur un corps... La violence conjugale, toute abominable qu'elle soit, par exemple, peut être punie par la justice, tout comme le viol, quand la justice accepte d'appliquer la loi, ce qui n'est pas toujours le cas ; non pas par sa faute, le plus souvent, mais par la faute des familles des victimes qui ne veulent qu'un règlement à l'amiable, règlement impliquant le versement d'une compensation financière, au détriment de la vraie justice, celle de l'Etat.

Là où ce devrait être la justice qui tranche et punisse les violences, ce sont les familles qui règlent le « problème » à leur manière, violant deux fois la victime à qui l'on fait comprendre que le préjudice abominable qu'elle a subi peut être quantifié financièrement. Et comme la victime est otage de sa famille, dans tous les sens du terme, elle accepte que son calvaire soit « effacé » par la compensation. Double peine, double violence. Notre système judiciaire basé, en partie, sur le droit musulman, se retrouve alors impuissant à agir. Mais, quand deux familles « s'arrangent » sur le dos et du bourreau et sur celui de la victime, c'est le droit des femmes qui est bafoué. Avec l'acceptation des femmes elles-mêmes.

La pire des violences est la violence morale, celle qui ne marque pas la peau, celle qui ne fait pas saigner, celle qui est « aveugle ». Celle que personne ne voit. Polygamie, excision, mariage précoce, mariage forcé, obligation du devoir conjugal, répudiations pour un oui ou non, mariages secrets, contraintes économiques, travail forcé, enfermement, etc., sont les mille et une facettes de ces violences que nous avons envers nos femmes. Tout cela « expliqué » à l'aune de « coutumes », morale, religion.

La violence commence dès la naissance, quand on fête plus l'arrivée d'un petit garçon que celle d'une fille. Elle continue dans l'éducation, quand les petites filles voient leurs frères quasi-adulés et qu'elles sont élevées dans la perpétuation de cette adulation envers ce petit homme. Elle est dans l'adolescence, là où les femmes parlent à ces jeunes filles de leur vie future, vie qui n'a de sens que dans le mariage, quand on leur fait peur en leur expliquant que le sexe, le plaisir, sont des choses sales, impures, souvent douloureuses mais obligatoires.

Elle est dans la honte du corps qu'on enseigne à nos filles, ce corps obligatoirement impur et donc à cacher absolument. Elle est dans la polygamie, compétition perpétuelle, quand des femmes doivent se partager un homme et accepter la soumission à cette condition. Elle est dans les viols conjugaux, ceux dont on ne parle jamais, mais qui font que, nuit après nuit, des centaines de femmes subissent, contre leur gré, un rapport sexuel, même si elles ne le veulent pas.

Elle est dans les grossesses à répétitions, femmes réduites à utérus, ventre, reproduction. Elle est dans la prostitution, celle de la faim, qui pousse des femmes à vendre leur corps pour pouvoir survivre. Elle est dans ce travail de bête de somme qu'est le travail d'une « bonne » chez nous, elle qui remplace, contre un salaire de misère, les anciennes esclaves. Elle est dans le travail de ces milliers de femmes qui triment dans les champs, gardiennes de la survie alimentaire de la famille.

Elle est dans des phrases terribles, comme, par exemple, celle qu'on dit en pulaar : « la femme dort derrière ». Elle est dans la sahwa des Maures, code de conduite, code de moralité. Elle est dans l'obligation de stratégies de survie qu'ont élaborées les femmes pour être. Tout ce manuel de la « guerre matrimoniale », toute cette patience, ces jeux, ces plans pour garder un homme, pour avoir une place. Nos femmes ont appris la patience et la guérilla familiale.

Elle est quand nous enfermons nos femmes dans des clichés : femme obligatoirement mère, obligatoirement bonne épouse, obligatoirement pieuse, femme obligatoirement morale, femme obligatoirement fragile, inférieure, femme obligatoirement douceur, acceptation, bonne conduite...

Tous ces clichés qui ne sont pas les femmes, mais qui deviennent les femmes par le poids de l'éducation. Et que les femmes transportent avec elles, à force de les avoir entendus, à force d'avoir été conditionnées comme telles.

Cette violence est, aussi, dans nos projections/fantasmes sur l'acte sexuel. Ne dit-on pas, chez les Maures, qu'une femme sexuellement agréable est « étroite et sèche » ? Mais, quand une femme est « sèche », lors de l'acte sexuel, c'est qu'elle n'a pas envie... Pourtant, c'est le meilleur « amour » pour les Maures : étroite et sèche. Le viol, tout auréolé qu'il soit de passion romantique, reste un viol.... Dans les sociétés où l'excision est pratiquée, la femme « bonne » est celle qui est amputée de son clitoris, donc inapte au plaisir sexuel...

Toutes ces violences nous les vivons, nous les portons en nous depuis l'enfance. Elles font partie des meubles... Nous voyons les violences physiques, mais nous ne voyons pas, nous n'entendons pas ces violences cachées, tues, imposées. Nous nions nos femmes tout en les chantant. Et, surtout, nous n'entendons pas nos femmes. Alors, oui, nous sommes des sociétés violentes envers nos femmes.

Mais nous n'avons pas encore, hormis certaines voix et associations qui luttent dans un immense silence, les courages nécessaires à empoigner nos visions, à empoigner ce que nous croyons être normal et « bon ». Pendant que nous continuons à être aveugles, des milliers de femmes hurlent dans le silence des traditions. Et personne ne les entend...

 

Mariem mint Derwich