Nouakchott-Tombouctou via Cape Town: Ou comment le Projet Manuscrits de Tombouctou a permis à un mauritanien de découvrir les documents du Mali

7 January, 2021 - 00:06

Le Mali, notamment dans sa partie septentrionale, représente à plus d’un titre un centre d’intérêt pour les études sociales en Mauritanie. Il est d’ailleurs très significatif que les grands chercheurs comme H.T. Norris, P.F. de MoreasFarias ou P. Bonte ont souvent procédé à de fréquents va-et-vient dans l’étude des sociétés malienne et mauritanienne, ce qui fait penser à l’existence d’un tronc commun quelque part.
Je suis pour ma part particulièrement interpellé étant donné que les centres d’intérêt de mes recherches se focalisent sur l’histoire médiévale des Sanhadja et la langue berbère, ce qui trouve des extensions ou au moins des possibilités de comparaison dans le Nord Mali de la même époque domaine d’un peuple cousin des Sanhadja, nomade comme eux mais aussi parlant une branche voisine du berbère.
Ce sont là les origines lointaines de mon intérêt pour le Projet Manuscrits de Tombouctou au sujet duquel j’avais entendu parler dans les médias ainsi que de l’engagement personnel de Nelson Mandela et de son pays. D’autres échos me sont parvenus par la suite par l’entremise de mes collègues Zekeria Ould Ahmed Salem et Yahya Ould Bara. Mais mon premier contact réel avec l’équipe du projet a eu lieu lors du Colloque sur les Archives d’Afrique post-indépendante et de sa Diaspora tenu à Gorée en juin 2012 durant lequel j’ai rencontré Susana MolinsLliteras qui présentait une communication sur les fonds bibliothécaires du Mali. J’ai par la suite discuté avec Susana de la situation des manuscrits et des risques que soulevait le nouveau contexte sécuritaire du Mali tout en évoquant mon travail à la Direction des Archives de Mauritanie et mes expériences dans le domaine de la conservation.

 

L’humilité des savants

C’est avec mon contact obtenu au cours de cette rencontre que j’ai reçu l’invitation du Projet pour visiter Cape Town en décembre 2013, invitation qui sera répétée en mars 2015.
Une fois à Cape Town, j’ai pu faire connaissance avec le reste de l’équipe : un érudit de temps classique ShamilJeppie doté de l’humilité des savants et habité d’une passion pour son projet qui frôle le zèle. Durant les moments qu’il me consacrait, il a su partager avec moi le fruit de sa longue expérience et les enseignements de sa large connaissance sur le domaine de l’histoire des manuscrits et des livres. La jeune SaarahJappie avait pour sa part un cursus universitaire original et parlait avec enthousiasme de ses enquêtes sur les musulmans du Cap et leurs manuscrits. L’assistante Rifqah Khan est l’illustration du soldat inconnu avec le profil idéal d’une disponibilité inconditionnelle et d’une efficacité à toute épreuve.
Les deux séjours de deux semaines chacun m’ont permis de joindre l’utile à l’agréable en faisant la découverte d’une ville mais aussi en réalisant des recherches, des traductions et en contribuant de manière très modeste à la vie du Projet et à certaines de ses activités.
J’ai ainsi pu donner quelques indications de traductions ou aider à déchiffrer un manuscrit. J’ai eu aussi à aider à l’encadrement des doctorants. Une fois en Mauritanie, ma collaboration avec le Projet a continué sous forme de note bibliographique sur tel ou tel savant, une note géographique sur une zone ou un pays. Ma plus grande tâche a consisté à faire une enquête qui m’a mené à Shinguitti (700 km de Nouakchott) pour visiter le lieu où est passé Ahmed Bula’râf, un commerçant devenu mécène, mufti et acteur d’une impressionnante circulation des livres et sur lequel se concentre les recherches actuelles de Shamil. C’est justement à Shinguitti qu’il aurait été « contaminé par le virus » des manuscrits.
Durant mon premier séjour j’ai pu ainsi consulter les documents relatifs à l’histoire de la Mauritanie hébergés dans la bibliothèque de l’Université de Cape Town (UCT), faire une présentation sur les groupes sociaux en Mauritanie, établir un rapport sur un dictionnaire biographique de Bula’râf comprenant 477 dont 402 appartiennent à l’aire mauritanienne. C’est d’ailleurs à partir de cette œuvre que j’ai compris qu’une grande partie de l’histoire de la Mauritanie était à rechercher dans les manuscrits maliens.
Mon grand bénéfice a été cependant la piste de recherches que m’a suggérée Shamil et qui se focalise sur l’histoire du papier et du livre. C’est ce qui m’a inspiré une petite note intitulée « Book and paper acquisition in Mauritania: Anecdotes and accounts» qui pourra peut-être représenter ma contribution à un article collectif.
L’histoire des livres, quant à elle, a été à l’origine de la communication que j’ai élaborée et présentée durant mon second séjour « The role of MauritanianScholars » dans laquelle j’ai mis en exergue les caractéristiques culturelles de la Mauritanie en évoquant l’islamisation et les origines de l’enseignement, les ordres Sufis, le système éducatif traditionnel de la Mahadra, la mise en place des premiers fonds bibliothécaires et les grandes figures de la diaspora shinguitienne au Moyen-Orient.
Par ailleurs, j’ai pu consulter les catalogues des manuscrits de Tombouctou et lire la plupart des manuscrits numérisés par le projet.
Sur le plan du tourisme et du divertissement,  j’ai pu savourer le séjour dans l’une des plus belles villes du monde et effectuer des visites sur ses lieux symboliques.

 

Elemine Mohamed Baba Moustapha
 Université de Nouakchott, Mauritanie.
Juin 2013