Autour d’un thé : Ya Mouritani ellik !

2 December, 2020 - 23:22

Ya Mouritani ellik ! Depuis tout petit, j’entends cette litanie qui souhaite au pays de bien aller et de se comporter avec tout plein de tout. Hier encore, à l’occasion du soixantième anniversaire, j’ai entendu les radios et les télévisions psalmodier à tout va nôtre sempiternel Ya Mouritani ellik. Et encore le discours du président de la République, ressassant quasiment la même chose que ce que lança feu Moktar à l’occasion de la déclaration de l’indépendance : « Faisons ensemble la patrie mauritanienne ». Oui, il faut certes construire la Mauritanie : un pays qui a encore besoin des tomates de ses voisins du Sud, du Nord ou de n’importe quel autre point cardinal, a sacrément encore besoin de se construire. Un pays toujours confronté à un problème d’identité. Un pays qui s’entête à ne pas savoir par où commencer… quand les autres sont sur le point d’arriver. Un pays qui change de priorités chaque fois qu’il change de gouvernants. Un pays sans carotte, sans navet, sans pomme de terre, sans oignon, sans salade, sans même un petit bout de rien. Un pays qui entretient encore des déficits en quasiment tout : en classes, en enseignants, en infirmiers, en craies, en ardoise, en eau, en électricité, en terre, en ciel, en mer, en pantalons, en chemises, en ceintures, en thé, en sucre….Vous savez, nos anciens qui ont assisté au soleil des indépendances, avec les premiers qui chantèrent Ya Mouritani ellik, il faut enfin les remercier, les envoyer à la retraite. Surtout que cette retraite vaut maintenant la peine d’être retraitée, avec augmentation à 100 % et versement mensuel. Ces anciens dont beaucoup sont encore là à toujours entonner à tue-tête, avec les petits-enfants de leurs enfants, Ya Mouritani ellik. Moi – sérieusement et ce n’est pas que je veuille dire qu’en soixante ans, rien n’est allé, peut-être même que beaucoup a roulé mais il arrive que ça aille à l’envers et même à l’endroit, ça, Camus le savait avant moi – moi, disais-je, je veux savoir où est-on arrivé après soixante années. Si en fait – excusez du peu ou du trop – presque toutes les problématiques sont encore quasiment en l’état qu’elles étaient au départ des colons. Chaque morceau du pays continue à crier de son côté, comme dit l’adage populaire : « chaque coin réclamant sa calebasse ». Nous continuons à mal apprendre. Nous continuons à mal nous soigner. Nous continuons à importer les morceaux de savon, les cuisses de poulet de la Turquie et même du Brésil. Nous continuons à envoyer notre fer plus brut que jamais. Nous continuons à regarder se « déhancher » le plus lentement et le plus lourdement du monde notre très vieux train bercé, comme nous tous depuis soixante ans, par toujours le même Ya Mouritani ellik. Nos anciens ministres. Nos anciens diplomates. Nos anciens militaires et bien d’autres de nos autres anciens qui ont chanté Ya Mouritani ellik ont une nouvelle fois raconté sur toutes les radios et télévisions ce qu’ils entendent par indépendance. Du 200 % « autrefois on faisait ceci, on faisait cela ; les gens faisaient cela et les gens faisaient ceci ». En cette commémoration, je suis allé, moi aussi, à la tribune. Des choses comme ça ne construisent pas les États. Quand quelqu’un radote, chez nous, on dit que sa tête est cassée. Non pas qu’il soit si vieux ou vieille, chacun peut radoter à souhait, la tête de n’importe qui peut casser… y compris celle du président de la République, de l’un de ses ministres ou de ses proches collaborateurs. Ici, quand tu dis des choses qui ne sont pas tout-à-fait logiques, on dit que tu prends d’ici et que tu prends de là. Exactement comme ce que je fais moi, maintenant. Certains même allant jusqu’à dire que ce sont là paroles de gens à la retraite, quand ils se retrouvent quelque part à discuter de ce qu’était la Mauritanie, il y a soixante ans juste, lorsqu’elle accédait à son indépendance. Quand encore tout le monde chantait en chœur : Ya Mouritani ellik… tout comme maintenant… à marquer le pas en chantant encore, encore et encore : Ya Mouritani ellik ! Ya Mouritani ellik ! Ya Mouritani ellik ! Salut.

Sneiba El Kory