Distinction

1 December, 2020 - 11:49

Le métier de pilote de ligne n’est pas des plus aisés. Outre les risques inhérents à son exercice – radiations ionisantes, crashs, détournements et autres éloignements familiaux… – il y a le caractère très resserré du marché de l’emploi qui réduit considérablement les alternatives de carrière. Le commandant de bord Ahmedou ould Mohamed Lemine, alias Dahmoudi, en sait quelque chose…

Son attitude, le 15 Février 2007, lors de la tentative avortée de détournement du Boeing 737 d’Air Mauritanie qu’il commandait sur la ligne Nouakchott-Nouadhibou, aurait pourtant dû lui valoir le plus brillant avenir. De nombreux journalistes, notamment Marie-Pierre Olphand, dans le journal « Le Monde » du 17 Février 2007, saluaient alors le sang-froid d’Ahmedou. Quatre jours après le dénouement heureux qui avait permis de neutraliser en douceur le terroriste armé, notre courageux pilote se voyait vivement félicité par la direction d’Air Mauritanie, « en reconnaissance de [son] professionnalisme, courage et sens élevé du devoir ». Le lendemain, le ministre mauritanien de l’Équipement et des transports – Ibrahima Demba Ba, à l’époque – reprenait les mêmes termes, avant d’annoncer à l’intrépide commandant « que le pays vous honorera d’une distinction pour cet acte exceptionnel de bravoure. »

Ahmedou ould Mohamed Lemine ne s’y attendait pas et, ne voyant jamais rien venir, n’en fit jamais rappel. Mais il pouvait à tout le moins raisonnablement s’espérer assuré de son emploi dans la compagnie nationale. Celle-ci disparaît en Janvier 2008 avant de renaître de ses cendres en Décembre 2009, sous le nom de Mauritania Airlines. Après de nombreuses péripéties, celle-ci démarre ses activités commerciales un an et demi plus tard. Ahmedou ould Mohamed Lemine fait partie du staff naviguant. Mais il n’est pas dans les petits papiers du nouveau DG Hassena ould Ely fort affairé, pour sa part, à répondre aux sollicitations d’autres prétendants plus proches de son sérail… alors que la flotte n’est que de trois Boeing.

Quelque temps plus tard, Ahmedou tombe malade et adresse à sa direction un certificat d’arrêt de travail on ne peut plus conforme. Hassena l’a-t-il lu ou… tout bonnement ignoré sciemment ? Toujours est-il qu’il programme un vol pour notre distingué commandant de bord… qui ne se présente évidemment pas au décollage de l’avion… et se voit en conséquence licencié pour faute grave. Et le DG de pousser le bouchon en invoquant une perte financière pour la compagnie ! Le pauvre Ahmedou se voit assigné devant la police des crimes économiques avec une ardoise de… deux cent millions d’anciennes ouguiyas pour dédommagements ! L’affaire se conclut par un non-lieu mais le mal est fait : le courageux pilote remarqué, quatre ans plus tôt, pour « son sens élevé du devoir » se retrouve  au chômage.

Comble d’ironie : c’est en Libye, un pays particulièrement exposé aux risques terroristes, qu’Ahmedou ould Mohamed Lemine va retrouver un poste. Avec chaudes recommandations de notre ministre de l’Équipement et des transports, je présume, en guise de « distinction » nationale ? On se prend cependant à espérer, sous la nouvelle qualité ghazwanienne, une toute autre expression de la gratitude mauritanienne…

Ben Abdalla