Aleg de mon enfance (3)

25 November, 2020 - 23:51

Grâce à la bienveillance de feu notre aîné l’éminent professeur de mathématiques, Sidi ould Jaber, mon grand frère et moi n’avions pas passé tout le fondamental à Aleg. Nous n’en suivions, chaque année, que le début, avant de rejoindre notre regretté Sidi sans lequel nous ne serions probablement pas allés à l’école, puisque feu notre père n’y accordait guère d’importance. Parmi mes amis de classe, Bâ Mamadou Abdoulaye, dit Samba Houlèye, se distinguait déjà, confirmant l’adage populaire selon lequel « aussi petite soit-elle, l’épine est pointue ». Pour sa part, Dah ould Messoud ould Diahloul s’était vu affublé, par notre instituteur feu Mohamed Lemine ould Errebih, du sobriquet sarcastique de Veyloutt, sans que jamais personne n’en sache la raison. C’est avec feu Ely ould Breihalla que je crois avoir appris mon premier mot de français – épine – au cours d’une séance d’apprentissage organisée derrière l’école. Le maître disposait du livre « Syllabaire ». Canari, dolo, pipe, papa, tomate sonnent encore dans ma tête. « Kitabouke ya weled », littéralement : « Ton livre mon enfant », le manuel de feu Errebih ou « Monsieur Taghi » notre enseignant d’arabe devenu inspecteur, nous venait de la Syrie ou du Liban, avec ses très belles illustrations qui tranchaient vivement avec nos réalités d’enfants pauvres pour qui pain, beurre, cuillère, cuisine, salon et autres relevaient du pur luxe. Monsieur Taghi nous faisait beaucoup jouer au ballon. Nos deux équipes rivales s’appelaient « Verigh nejah » et « Verigh vewz », expressions similaires signifiant littéralement victoire. Une originale trouvaille pédagogique qui permettait à notre extraordinaire instituteur de ne pas faire de jaloux.

 

Courageuses vendeuses

En 1972, l’hôpital régional d’Aleg n’existait pas. C’était un grand espace entre le dispensaire et l’école. À la place de l’actuel Palais de justice, il y avait le puits de feu Ndergui. La route de l’Espoir n’était pas encore passée par là. Chaque année, les élèves étaient vaccinés par une équipe du dispensaire. Le jour y dévolu suscitait tout un cérémonial, allant de la sensibilisation des élèves à leur alignement et à la surveillance des quelques peureux qui essaient d’éviter le supplice. Au dispensaire, il y avait nos papas, comme feu Souleymane Dembélé, le père de Birama et Mama Dembélé ; celui de mes amis Hassen, Inthié et de leur grand frère Abdou, feu Bouba Ndiaye, l’oncle paternel de nos regrettés frères et amis Cheikh et Oumar Ndiaye dont personne de ma génération ne connut le père, feu Tiécoura Ndiaye. Il y avait aussi Bâ Amadou Djiby de Touldé Doubango (Boghé) dont le fils Bâ Oumar et sa sœur Ketiel étaient de nos âges ; M’baye Ndiong dont les enfants Papa, Idy, Coumba, Couryaye et les autres étaient nos amis. Ces quatre employés du dispensaire d’Aleg ont circoncis quasiment tous les enfants de la ville. Ha, toute une histoire, le petit marché d’Aleg ! Aujourd’hui enseveli, son puits Hassi el marsa abreuvait la ville. Son hangar et sa quinzaine de « gdours » occupées par de courageuses vendeuses comme feue M’hani Sall, une magnifique et grande dame, feue Feifa et feue sa fille Meimouna mint Boubou, la mère de mon ami Hamzetta et de son frère Mohamed Mahmoud ou encore feues Lehbiba mint Bilal, Halima mint Mamourou qui avait une peur bleue des gendarmes… Les bouchers feus Thierno Soulèye et son frère Adama War de Bababé dont les enfants, notamment Amadou, Mamadou, et Fama faisaient partie de nos amis ; Djibéry ould M’haimid chez qui feue Maville mint M’beyarek, l’épouse du très respecté patriarche et notable feu Abdou ould Sambe Fall, dit Dah, venait s’approvisionner en bonne viande pour ses « banafas » dont la senteur délicieuse embaumait tous les environs de sa maison. Les quelques rares boutiques du quartier cernaient le marché. Les enfants rôdaient aux alentours en quête d’une petite corvée, comme vider la paille d’un sac de sucre « Telgi » et avoir ainsi l’occasion de tomber sur quelques providentiels petits morceaux de « bnou wehib » (sorte de farine compactée de sucre). Juste à l’Est, la grande rue où se retrouvaient les enfants de tous les quartiers de la ville pour jouer au ballon ou attendre de « languer » (s’accrocher à l’arrière) sur la vieille land Rover de feu Ahmed Souke, la Benne 46 de feu Mor Cissé ou la Power de feu Abderrahmane Pedro, le père du capitaine de la Garde à la retraite Hademine Pedro, entré le même jour que moi à l’école 1 d’Aleg. Le long de cette grande rue s’alignent les maisons de certaines vieilles familles d’Aleg, comme, entre autres, Ehel Mbèye Vall (Mbaye Fall) dont la mère feue M’ghaily mint Boubou fut une femme inégalée de courage, amabilité et notoriété. La grande rue sépare les quartiers Liberté (Dérissa) et El Jedida. On y trouvait l’ancien garage de Boghé d’où partaient les camions 46 de feus Ahmedou Vall ould Cheibah et Mohamed ould M’beyarek ; plus tard, la célèbre voiture de feu Haiballa et l’irracontable bus de feu Mor Dieng. (A suivre)

Sneiba El Kory