Traquer les biens mal acquis : Une occasion pour la Société civile de sortir de sa torpeur

10 September, 2020 - 09:53

Après le Gabon, le Congo, la Guinée Équatoriale, la RDC, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc où des affaires de corruption au sommet ont éclaté au grand jour, grâce, notamment,au travail de l’ONG Sherpa, la Mauritanie serait la prochaine à se retrouver dans la longue liste des chefs d’État accusés de corruption. Récemment au Mali, on a apprisl’existence de centaines de généraux milliardaires dans un des pays les plus pauvres de la planète. Au Sénégal, l’affaire de IAAF a éclaboussé l’ex-présidentde cette institution mondiale, Lamine Diack et son fils, après celle de Karim Wade, OCI et AliouSall, affaire Petro-Tim… En Mauritanie, Ould Abdel Aziz et bon nombre de ses proches sont cités dans le rapport de la CEP, une enquête qui met en jeu des milliards d’anciennes ouguiyas. Et le Parquet vient d’ouvrir une enquête sur ces révélations ! Certains diront que l’ex-Président n’estpas le seul à s’être enrichi illégalement et que cet arbre ne doit pas cacher la forêt. Le Parquet doit aller jusqu’au bout.

 

Lourdes charges de la CEP

Le rapport de la CEP a révélé un immense préjudice subi par l’État et pour recouvrer les biens détournés, le gouvernement mauritanien s’est constitué un collectif d’une soixantaine d’avocats. Ces robes noires vont batailler dur. Un recensement exhaustif des différents biens financiers, mobiliers et immobiliers, roulant, etc. est en cours. Le Parquet a déjà demandé la mise sous séquestre des comptes de personnes et sociétés cités dans le rapport de la CEP. Des passeports ont été saisis et certains accusés placés sous contrôle direct.

La commission d’enquête parlementaire a donc mis à nu l’ampleur de la gabegie dans notre pays alors qu’on nous rabâchaitles oreilles, depuis plus de dix ans, de la soi-disantlutte contre celle-ci, une thématique populiste beaucoup trop galvaudée sous nos cieux. Le pays dispose, depuis 2016, de la loi N°2016–14 du 15 Avril 2016 criminalisant la corruption. Partout dans nos ministères, on a institué des commissions de contrôle des marchés publics… Résultats : que dalle !

Sous l’ex-Président, nombre de fonctionnaires, des seconds couteaux surtout, furent emprisonnés, parfois pour des sommes dérisoires, alors que d’autres dorment tranquillement sur des millions, voire des milliards soutirés à l’État, à travers des marchés de complaisance, gré-à-gré et commissions occultes. Aux uns, le trou, aux autres l’impunité. Une politique de deux poids, deux mesures, diront certains. Et la presse a passé ces dix dernières années à révéler régulièrement des scandales aussi rapidement étouffés. La récente découverte de détournement de plusieurs millions et la présence de faux dollars à la BCM montrecombien cette gangrène a la peau dure en Mauritanie. Elle est devenue comme un sport national auquel se livrent nombre de fonctionnaires de l’État, hommes d’affaires, entreprises nationales et internationales, dans un pays annoncé musulman à 100%, comme on se vante à le proclamer. Sinon, comment comprendre que dans un pays de moins de quatre millions d’âmes, doté d’énormes ressources minières, halieutiques, foncières et animales, la majorité de ses habitants ne puisse sortir de la pauvreté, que tant des gens croupissent dans la misère, que des salaires restent très bas, que les services de santé et d’éducation demeurent très peu performants.

Entre les intentions et la réalité, il y a tout un désert à franchir ou« une mer à boire », comme on dit. En d’autres pays où cette pandémie s’est installée, des voix s’élèvent pour la dénoncer. Des politiques s’en saisissent pour décrédibiliser les pouvoirs en place,Tandis que la Société civile s’emploie à jouer son rôle de lanceur d’alerte et de défense des citoyens. La presse multiplieles enquêtes fouillées pour relayer les scandales (détournements et pillages des ressources).

 

Société civile inaudible en Mauritanie

La Société civile est le fer de lance de la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance. Maisen Mauritanie, elle est presque inaudible. Alors que, paradoxalement, le pays compte une foule d’associations, d’ONG, syndicats…Bref : un nouveau et vulgaire business. Les pouvoirs publics ont eu la main très généreuse dans l’octroi de récépissés, instaurant le laxisme dans ce secteur indispensable à la régularisation. Unepléthore d’associations, ONG,syndicats et autres mouvements  arpentent les avenues de la capitale, squattent les bureaux, dérangent nos décideurs et sillonnent le pays en quête de proies faciles. Dans leur écrasante majorité, elles sont sans expérience ni compétence aucune, faisant appel aux bureaux d’études pour leurs activités.En l’une de ses mémorables chroniques, feu Habib ould Mahfoud les appela « associations-cartables », parce qu’elles ne disposent ni de bureau ni de personnel, ne respectent aucune standard d’organisation ; en bref, ne répondent à aucune norme. Elles sont souvent fondées sur« instigation ou suggestion » de responsables politiques, chefs de projet, d’ONG internationales, parce qu’elles sont le seul « moyen légal » d’éligibilité aux financements et subventions, « sœurs jumelles de la corruption », comme le souligne l’ONU. Complaisance, quand tu nous tiens ! Comment alors de telles organisations pourraient s’ériger en défenseurs des droits citoyens ? Certaines en sont même devenues les fossoyeurs.

Ailleurs en Afrique, les sociétés civiles ont joué un rôle déterminant dans les révolutions qui ont secoué les pouvoirs corrompus et dictatoriaux, comme au Burkina Faso avec le « Balai citoyen », en Algérie avec le HIRAK, en Tunisie, au Soudan, au Sénégal avec « Y’en a marre ! » et en RDC avec « Filimbi ». En Mauritanie, la société civile n’a pas osé battre le macadam ; peut-être trop politisée, trop divisée, elle n’est pas bien structurée autour d’un mouvement-pilote ou les intérêts de ses membres sont tout simplement divergents.

Aujourd’hui, la mise en œuvre des graves accusations de la CEP par la justice et la traque des biens mal acquis doivent être l’occasion pour la société civile mauritanienne de sortir de son mutisme et de jouer pleinement son rôle de régulateur et de défense des droits citoyens. S’impliquer auprès du pool des avocats de l’État dans la traque des biens mal acquis. Aujourd’hui, seules quelques-unes de ses organisations tentent de sortir la tête de l’eau : ITIE, PCVP, par exemple. La première produit des rapports sur les industries extractives et la seconde œuvre pour une gestion saine de ces ressources…

DL