La Chine se réveille et le leader du monde tremble (suite et fin)/Par Ahmedou Ould Moustapha

6 August, 2020 - 00:51

Monsieur Ahmedou Ould  Moustapha décline ici une analyse percutante qui remet en question beaucoup de certitudes et de croyances fortement établies.

Des lois immuables de l’Histoire aux pertinents indicateurs comparatifs de l’économie, en passant par les inflexions de la géopolitique, il met en évidence quelques tendances lourdes pour cerner les véritables enjeux de cette vive tension qui se déroule sous nos yeux entre les Etats-Unis et l’Empire du Milieu.

Il nous explique surtout la sérieuse menace qui se profile sur le destin des Etats-Unis au niveau de l’échiquier international ainsi que  les vraies raisons des déclarations à la fois erratiques et oscillatoires du président Trump à l’encontre de la Chine.

 

Le modèle chinois confronté aux autres

Les objectifs de développement du gouvernement chinois, visant une société de bien-être collectif, résultent d’un modèle d’économie mixte original fondé sur la modernisation des entreprises publiques dominant les secteurs-clé et la promotion d’un secteur privé dynamique mais soumis au contrôle et au pilotage d’un Etat fort.  C’est dire que le secteur privé y joue un rôle très important, mais il n’a pas le pouvoir : il ne finance pas les campagnes électorales, il n’est pas propriétaire de grands médias pour orienter ou mobiliser l’opinion publique à sa guise ; il ne constitue donc pas l’Etat profond. Et le gouvernement chinois exécute ses programmes sous l’égide d’un parti communiste qui ne tolère point les lobbys économiques et autres groupes de pression qui influencent la vie publique dans d’autres pays et orientent leur politique extérieure pour satisfaire des objectifs souvent sans rapports évidents avec les intérêts supérieurs de leurs Etats…

C’est notamment le cas aux Etats-Unis où les postes de Secrétaires d’Etat  aux Affaires Etrangères et à la Défense sont généralement réservés aux représentants des plus grands contributeurs financiers à la campagne du candidat élu, il en est de même pour les postes d’ambassadeurs les plus importants. C’est tout de même là une curieuse méthode de rendre la monnaie à ses soutiens, pour ne pas dire bienfaiteurs, mais c’est apparemment une normalité bien intégrée sous le ciel de la démocratie américaine. Sa Justice n’en est pas à sa première contradiction : elle interdit à ses citoyens de procéder à des opérations de corruption à l’extérieur du pays, mais elle décrète qu’ils peuvent bien apporter des soutiens financiers aux candidats à l’élection présidentielle, même si les plus grands contributeurs à la campagne pourraient ensuite se voir nommés ambassadeurs par le nouveau président, ou voir leur plus proche collaborateur désigné Secrétaire d’Etat à la Défense ou aux Affaires Etrangères.

 

Ouverture ambitieuse mais non débridée

Faut-il ici répéter que le modèle chinois se caractérise par la centralisation du pouvoir entre les mains des dirigeants du parti communiste qui bannit aussi bien la corruption que le clientélisme, d’une part, et par l’ouverture ambitieuse mais non débridée à l’économie libérale, d’autre part ?

En Chine, un responsable pris en flagrant délit de corruption ou de fraude fiscale préfère se suicider que de subir la torture morale de la sentence du jugement populaire.

C’est là une occasion d’ouvrir cette parenthèse sur la Mauritanie, en précisant toutefois qu’il n’est pas question de comparer l’incomparable : ici, la plus haute autorité du pays peut se permettre de brader le patrimoine immobilier de l’Etat à son profit personnel et continuer à vivre et dormir en toute quiétude, comme si de rien n’était, même l’idée qu’il en soit inquiété un jour par  la puissance publique n’effleure point son esprit.

De même, les responsables qui pillent des entreprises publiques et mettent leur clé sous paillasson sont sinon promus à d’autres fonctions plus intéressantes, au point de vue avantages ou  prestige, du moins maintenus à leur poste ou affectés à d’autres de même rang.

Ici, l’alternance politique se résume en une affaire où l’on change de président pour que continuent à se répéter les mêmes méthodes de gouvernance, avec les mêmes responsables au gouvernement ou à la tête des entreprises publiques de dimension économique hautement stratégique,  comme si tout allait pour le meilleur des mondes à l’instar du pays des Bisounours. 

C’est à croire qu’il n’existait dans ce pays d’autres compétences que ces responsables-là, qui ont pourtant fait preuve de manquements économiques et morales plus que graves, qui ont également démontré qu’ils ne portaient aucune ambition nationale et  qu’ils ne se sont jamais tracé un destin politique pour marquer les esprits de la meilleure manière afin de s’inscrire ainsi, en lettres d’or, dans la mémoire collective et donc dans l’histoire de leur  pays... Fermons la parenthèse.

Aux Etats-Unis, le président Trump est soupçonné de fraude fiscale, mais ce n’est pas un problème pour lui, il a confié le dossier à ses avocats…

En France, l’évasion fiscale représente près de 90 milliards d’euros (1) de manque à gagner pour l’Etat, et ce sont les banques qui organisent cette évasion quasiment en toute impunité, l’affaire Cahuzac en est une illustration parfaite.

La démocratie française s’accommode bien de ces dérives, mais ses élites peinent à admettre la rigueur du modèle chinois dont pourtant la légitimité repose exclusivement sur l’amélioration continuelle des conditions d’existence de la société chinoise dans toutes ses composantes, comme viennent de l’attester les performances économiques ci-dessus énumérées.

Par contre, les deux sociétés américaine et française n’en peuvent plus de la baisse continuelle de leur pouvoir d’achat, du chômage qui prend des allures de record (bien avant le Covid 19), de la pression fiscale qui étouffe les classes moyennes et de la croissance qui stagne ou recule, avec ce paradoxe en France où l’on enregistre un niveau de distribution de dividendes jamais égalé et supérieur à celui de toute l’Europe, parce que les entreprises françaises tirent l’essentiel de leurs profits des cadeaux fiscaux qui leur sont octroyés par les différents gouvernements qui se succèdent, traduisant ainsi leur allégeance ou, si l’on préfère, leur manière de remercier les groupes qui financent les vrais  budgets de campagnes, au-delà du plafond réglementaire prescrit par la loi.

C’est pourtant à ce moment-là que l’on se perd, en France et ailleurs, à décrire le système chinois comme une dictature totalitaire, ce qui n’est ni totalement faux ni absolument vrai : les libertés d’opinion ou d’expression politique contraires n’y sont pas tolérées, c’est indiscutable, mais la liberté d’entreprendre des activités économiques y est totalement assurée, ce qui est encore moins discutable.

 

Macron porté au pinacle

Ce compromis entre le socialisme et les capitalistes constitue une figure insupportable pour l’orthodoxie libérale, particulièrement en Occident où l’on prône l’individualisme libertaire et où les classes politiques et les élites médiatiques sont habituées à ne regarder que le rituel électoral qui débouche sur l’alternance politique.

C’est pourquoi, en France, elles ne voient même pas ou feignent de voir que leur président, Monsieur Macron, était plus désigné que vraiment légitime :  technocrate reconnaissant lui-même qu’il n’adhérait à aucun parti et venant directement de l’institution bancaire (Rothschild) la plus représentative au monde, il a été effectivement désigné par le monde de la finance qui l’avait alors porté au pinacle, durant sa campagne et même aujourd’hui encore, à travers les grands médias mainstream, c’est-à-dire ceux qui exercent le plus d’influence sur l’opinion publique et qui appartiennent tous à 9 milliardaires français.

Devinez sa première décision dès son installation à l’Elysée : supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), c’est-à-dire faire perdre à l’Etat français une recette fiscale annuelle de 45 milliards d’Euros, au profit du monde qui l’avait désigné. La Fondation française IFRAP estime  que la suppression de l’ISF a provoqué une perte directe de 400 000 emplois, ce qui donne tout son sens à la revendication des Gilets jaunes  demandant au gouvernement de remettre en place cet impôt, qui explique aussi que cette revendication n’était pas capricieuse comme ont tenté de le faire croire certains chroniqueurs français.

Son prédécesseur, François Hollande, avait pourtant bien décrié ce monde, lors d’un de ses meetings de campagne présidentielle en 2012, à Bourget, en ces termes : « Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. En vingt ans, sous nos yeux, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies ». 

 Mais aussitôt assis sur son fauteuil de président, il a dû oublier cette déclaration en se faisant  l’obligation  d’entrer, lui aussi, dans le moule…

A l’inverse, en Chine, le monde de la finance obéit au gouvernement et marque le pas sous ses ordres. A côté des banques privées existent aussi des banques publiques plus puissantes. Elles n’ont aucun pouvoir d’influence ou de chantage sur lui, parce qu’il n’a pas besoin de les solliciter en courbant l’échine, ni pour faire vendre ou acheter des parts dans les entreprises, ni pour lancer des opérations d’emprunt, encore moins pour financer les activités de l’économie ou assurer la fluidité des opérations commerciales et financières. Elles savent sinon que le risque de tout perdre est très élevé, et qu’elles ont affaire à un Etat fort qui exclut toute acrobatie judiciaire lorsqu’il s’agit de ses intérêts supérieurs, ce qui n’est pas toujours le cas en Occident et ailleurs(2)…

Ensuite, sur un autre plan, il faudrait bien qu’une chose soit claire : le modèle  chinois est fondé sur cette autre idée que le développement des forces productives est la condition première de la transformation des rapports sociaux, et non l’inverse…

Pour ce faire, l’Etat se doit d’être fort et ne jamais lâcher le gouvernail, c’est à lui que revient le pouvoir exclusif de décision et de pilotage des orientations économiques et préférences sociales qu’il veut bâtir.

Ce volontarisme du modèle chinois a pu permettre une réussite extraordinaire sur la voie étroite du développement, en explorant des chemins inconnus jusqu’ici et en transformant radicalement la société chinoise, même s’il faudrait bien reconnaître que ce fut au détriment des libertés politiques. Encore qu’il faudrait surtout reconnaître qu’il a pu permettre aux chinois de multiplier leur PIB, d’industrialiser le pays, d’élever son niveau scientifique et technologique, après avoir vaincu la pauvreté et doté le pays de son parapluie nucléaire.

Cette expérience chinoise est inédite avons-nous dit : c’est la belle réussite d’une stratégie de sortie du sous-développement sans précédent, sous la direction de dirigeants hautement responsables et dont le destin national qu’ils se sont tracé s’accommode très peu des combines sulfureuses entre hommes d’Etat ou de pouvoir et ceux du milieu des affaires ou de la finance. Ils ont ainsi pu tenir compte de la géopolitique internationale pour tirer le meilleur parti de la mondialisation.  Le fléchissement de la croissance est certes une fragilité non négligeable, mais la Chine de 2020 a tous les moyens de poursuivre sa ‘’marche’’ vers une étape supérieure. Et c’est d’autant plus vrai  qu’elle a pu se doter – en un temps record – des  quatre piliers fondamentaux de la puissance impériale : (i) la puissance économique qui conduit à (ii) la puissance militaire et (iii) la force démographique qui conduit à (iv) la capacité de projection géographique ; bien entendu, dans toute son histoire, elle ne s’est jamais projetée militairement en dehors de ses frontières  et ne manifeste aujourd’hui aucune volonté de les franchir.

En d’autres termes,  il faudra bien se faire une raison : la Chine s’est réveillée, elle ne peut donc faire autrement que de fermer la parenthèse de la domination occidentale et de retrouver le rôle légitime qui lui revient dans le jeu des nations.

 

(1) Ce chiffre estimatif d’environ  9 milliards d’évasion fiscale n’est contesté par aucune voix officielle, car il est avancé par un institut de statistiques économiques considéré en France comme une référence.  

(2) Ces acrobaties judiciaires ont souvent fait perdre aux Etats des sommes colossales  au profit de groupes économiques puissants ou d’individus influents.