IRA : pourquoi deux poids deux mesures ?

8 July, 2020 - 23:34

Le journaliste Mohamed Vall ould Sidi Meyla jette un pavé dans la mare !

 

 Le fait de restreindre la lutte contre l'esclavage à la seule communauté maure ne peut être interprété que sous deux angles : ou les Pulaars, les Wolofs et les Soninkés ne sont pas mauritaniens, et ce serait une assertion gravissime et raciste dont la responsabilité ne saurait être endossée par les « Beydanes » ; ou il s’agit de ne viser délibérément que ceux-ci. L’équivoque ainsi clairement explicitée, il devient possible de la lever.

En occultant la réalité de l'esclavage, la hiérarchisation et le système d'organisation sociale en milieu négro-africain, on consolide la thèse selon laquelle le mouvement anti-esclavage IRA serait un outil manipulé par les extrémistes négro-africains dans l'unique dessein de régler des comptes avec les Beydanes, en exploitant la misère et l'audace des Haratines. De quoi expliquer l’afflux notable d’activistes négro-africains vers IRA ? Ce qui est certain, c'est qu'ils le font d’autant moins pour les beaux yeux des « esclaves des beydanes » qu'ils ne se sont jamais mobilisés en faveur des esclaves et des couches défavorisées, « écrasées », de la société négro-africaine.

 

Injustices statutaires

Là réside l'enjeu du débat avec IRA. Malgré nos multiples observations, celle-ci n'arrive pas à nous édifier sur une hypothétique différence entre l'esclavage en société maure et celui en milieu négro-africain. Une autre interrogation se présente à l'esprit : y aurait-il eu, dans l'histoire de l'Humanité, un esclavage plus humain qu'un autre ? Quoiqu’il en fût, les esclaves négro-africains ont, eux aussi, des droits sur nous car nous partageons une même religion et un même pays. Si vraiment la cause des esclaves beydanes n'est pas foncièrement exploitée à des fins politiques, alors IRA doit se solidariser également avec les esclaves négro-africains et combattre tout autant l'injustice inhérente à l'organisation des classes dans leur société. À cet égard, mon frère Balla Touré sait combien cette injustice est cruelle et nauséabonde…

Sans un tel élargissement de la lutte anti-esclavagiste – plus généralement, contre les injustices statutaires – ceux qui voient en IRA un mouvement anti-beydanes obnubilé à les « mater » auraient raison. Un jugement étayé de surcroît par le fait que ledit mouvement traque la moindre occasion d’évoquer les événements tragiques de 1989 entre maures et négro-africains, le charnier d'Inal ou d’Azlat (au demeurant condamnables, condamnés et regrettables), oubliant ou feignant d'oublier la montagne d'asservissement sous laquelle ploient les esclaves négro-africains. On ne peut plus bizarre attitude à mon sens, il est donc, du devoir d'IRA de défendre avec acharnement, sincérité, pacifisme et sans discrimination aucune, tous les esclaves victimes d'esclavage de la part de maures ou de négro-africains. Où qu'il prospère, l'esclavage est un acte vil. La portée de cette injustice ne peut point être atténuée par la couleur de la personne sur laquelle elle s'exerce. Peu importe qu'il soit blanc ou noir. Et, donc, tout comme IRA a l'habitude de demander aux partis « beydanes » de faire du combat contre l'esclavage une priorité, il doit également demander à Sarr Ibrahima, Kane Hamidou Baba et compagnie pourquoi ce sujet crucial qui affecte tout autant leur société est absent  de leurs débats et programmes politiques.

Sachez cependant que je ne suis pas là pour défendre les Maures. Mes camarades sympathisants d’IRA le savent tout autant que moi. J'ai toujours milité pour les causes justes, notamment en ce type d'organisation. Je combats avec acharnement toute forme de ségrégation et d'ethnicisme étroit. Mais que la lutte soit focalisée, exclusivement et en permanence, sur une seule composante sociale est révoltant et injustifiable. Ce devrait être normalement d’autant plus une source de gêne pour IRA que les chercheurs, professeurs et intellectuels du mouvement savent pertinemment que l'esclavage n'est pas un phénomène spécifiquement maure.

 

Esclaves ici, esclaves là-bas

Rappelons, ici à titre d’illustration, que les princes du Fouta (autrement dit, l'aristocratie halpulaar) collaborèrent avec les marchands d'esclaves maures et européens sur un pied d'égalité. Les Almamys furent les plus grands pourvoyeurs de marchandises humaines sur les quais de Saint-Louis. Les princes wolofs du Walo offraient aux émirs des esclaves en lieu et place du « kharaj » (l'impôt agricole). Les intellectuels d'IRA savent mieux que quiconque que les classes des « Sibé » (guerriers), « Torobés » (marabouts), « Jawambés » (conseillers du prince), « Sébalbés » (maîtres des eaux) n’ont cessé d’« écraser », et d’« exploiter », dans la société halpulaar, les couches « Mabobés (tisserands), « Iyeyelbés » (orfèvres), « Sakibés » (tanneurs), « Laobés » (bûcherons spécialisés dans le travail du bois), « Bornabés » (vanniers), « Awlobés » (potiers), « Torobés » (griots des marabouts), « Wambabés » (musiciens), « Laobés Komboula » (griots des guerriers), « Maobés Sodobati » (courtisans peuls), « Sotibés » (affranchis), « Maccubé » et « Halfabés » (esclaves).

Comme ils savent aussi que la classe des « Guers », dans la société wolof, continue « d'écraser » les « Diambours » (paysans) et les « Nols » (serfs/comédiens) dont les descendants, selon la mythologie wolof, proviennent du « mariage d'un mort avec une vivante » et il est, en conséquence, strictement interdit aux autres couches sociales d'établir des liens matrimoniaux avec cette frange « maudite et honnie » dans l'inconscient collectif de ladite société. Le même esprit de domination régit encore la société wolof sur les « Gniégnos » (artisans) dans toutes leurs composantes : « Teugg » ou « Balla Maïssa » (forgerons), « Laobés » (spécialisés dans le bois), « Woudés » (cordonniers), « Rab » (tisserands) et « Guéwel » (griots). Une domination plus sévère encore est subie par les « Djames » (esclaves) dans toutes leurs différentes ramifications : « Djamou Bour » (esclaves de palais, dépendants des princes), « Djame Thiédou » (esclaves de la plèbe, appartenant à tout le monde), « Djame Sayor » (esclaves des familles guerrières).

Les intellectuels d'IRA savent que les classes « Horo » et « Modini », guerriers et marabouts de la société soninké, continuent d'« écraser » les « Niakhamalani » (musiciens/forgerons) et les « Komos » (« esclaves »), ainsi que les « Dionkoronkos » qui leur sont pourtant socialement proches. Tout comme ils savent pertinemment qu’à ce jour encore, une veuve « komo » doit observer une durée de viduité moitié moins longue que celle d'une femme noble. Mais personne n'ose broncher. Et surtout pas IRA si prompt à mobiliser sa troupe pour dénoncer l'esclavage…

 

Mohamed Vall ould Sidi Meyla (Traduit de l’arabe par Mohamed Ould Sidi Yaraf)