Sommet de Nouakchott: La Mauritanie sort diplomatiquement renforcée

7 July, 2020 - 11:57

Nouakchott, en plus d’entériner les progrès effectués depuis six mois, a également accouché de certaines dispositions soutenues par la Mauritanie. Ce faisant, elle confirme son rôle de premier plan dans le G5 Sahel et la coalition. Un rôle qui doit cependant encore s’affirmer.

Malgré la crise sanitaire, les autorités mauritaniennes sont parvenues à organiser le sommet qui s’est conclu mardi soir sur une conférence de presse commune du président français Emmanuel Macron et du président Mohamed Ould Cheikkh El Ghazouani. Ce dernier a notamment déclaré : « En janvier dernier, nous avions annoncé la mise en place de la Coalition pour le Sahel, articulée autour de quatre axes : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité, l’appui au retour de l’État dans les zones de crise et l’aide au développement. Aujourd'hui, nous sommes rassurés de constater que ce cadre a permis de réaliser des progrès significatifs ».

Considéré comme un bilan d’étape après Pau, Nouakchott, par la voix de ses membres, a donc bien entériné les progrès, notamment militaires, de ces derniers mois. Pourtant, s’il n’a pas accouché de mesures choc, les membres du G5 Sahel ont tout de même obtenu de faire valoir un certain nombre de mesures destinées à consolider et amplifier les efforts fournis. Si certains sont d’ordre militaire, la plupart concernaient des questions de développement et de gouvernance : enjeux centraux de la suite du sommet. Parmi eux, plusieurs sont d’émanation Mauritanienne.

 

Déployer l’aide internationale et donner plus de marge financière au G5

L’armée française et la Force Conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) sont formelles, le rapport de force s’est inversé et les djihadistes de l’Etat Islamique que Grand Sahel –EIGS- ont perdu du terrain dans les trois frontières. Maintenant officiellement actés, ces succès militaires doivent être transformés en succès politique conformément aux objectifs stratégiques énoncés lors du Sommet de Pau et ayant présidé à la création de la coalition pour le Sahel : il s’agit notamment du déploiement de l’aide au développement et l’amélioration de la gouvernance.

Dans cette optique, les pays du G5 ont tenu à rappeler un préalable fondamental à leurs yeux : l’annulation de leur dette extérieure. Si cette dernière avait été suspendue afin que les pays puissent faire fasse à la crise du Covid-19, le service de cette dernière a repris et il recommence à peser sur les budgets nationaux. Ainsi : « le service de la dette est devenu, pour nos pays, insupportable et il absorbe une part non négligeable de nos budgets nationaux », a tenu à rappeler le président Mohamed Ould Cheikkh El Ghazouani. Il est certain que cette dernière est un lourd fardeau pour des pays dont le PIB pourrait se contracter d’environ huit points sous l’effet de la pos-pandémie. Il est certain que cette annulation, couplée à l’apprentissage, en cours, de bonnes pratiques de gouvernance financières -projets AfD, Alliance pour le Sahel, etc- pourrait être bénéfique. Toutefois la bonne volonté de l’Europe et de la France ne sont pas les seules variables : la Chine détient près d’un tiers de la dette des pays africains et ces derniers ont émis [de la dette] sur les marchés financiers internationaux.

La Mauritanie a soutenu et salué la création effective de la coalition pour le Sahel qui devrait rationaliser l’aide internationale. Cela dit, cette dernière, notamment via l’Alliance pour le Sahel, sera focalisée sur les zones contestées -trois frontières, Mali du nord- pour le déploiement des programmes de développement d’urgence -PDU- ou des Cadres d’Actions Prioritaires Intégrés –CAPI- du G5 Sahel, conformément à la nouvelle stratégie adoptée. Cela ne signifie pas pour autant que la Mauritanie est, ou sera, délaissée, l’Agence française de Développement y déployant déjà une quarantaine de projets -gouvernance financière, droit de l’homme, éducation, agriculture…-.

 

Amplifier les effets militaires en veillant au respect des droits de l’homme

L’armée mauritanienne ne participe pas encore, tactiquement, aux opérations militaires dans les trois frontières. En revanche, disposant d’une armée bien encadrée, organiquement stable et professionnelle, elle a largement contribué à la mise en place et à l’opérationnalisation des états-majors et postes de commandements de la FC-G5S via les Mécanismes de Commandement Conjoints –MCC-. L’armée Mauritanienne a su faire part de son expérience dans les manœuvres complexes ayant permis, aux côtés de Barkhane, à la FC-G5S ou aux unités nationales Maliennes et Nigériennes, de remporter des succès « sahéliens » sur le terrain. Le sommet de Nouakchott a également rappelé la nécessité de débloquer plus de fonds : si ces derniers sont effectivement nécessaires et insuffisants, il faut rappeler également que c’est la réorganisation et l’équipement progressif -notamment via la France- qui a fait le succès de l’armée de Mauritanie et non la débauche de moyens mal employés. Et à ceux qui voudraient critiquer la France pour son manque d’engagement financier dans la Force conjointe, on rappellera à profit qu’elle dépense déja plus de 800 millions d’euros par an pour la force Barkhane sans qui rien ne serait possible. Du reste c’est également le sens de la coalition pour le Sahel : internationaliser la lutte et les financements ; et sur ce plan tous ont reconnu les signaux positifs ces derniers mois.

Certains pointent le manque de présence des mauritaniens dans les trois frontières. Si le principal atout de l’armée, pour Barkhane, réside dans sa maitrise du territoire national, il faut convenir que la Mauritanie a tardé à déléguer son bataillon à la FC-G5S. Ce dernier est cependant maintenant effectif et les possibilités légales en termes de projection en dehors des frontières et l’extension du droit de poursuite (Sommet G5, Nouakchott, 25 Février 2020) ont su convaincre la Mauritanie d’accélérer son engagement.

On peut cependant comprendre certaines réticences de la Mauritanie face à un voisin malien considéré jusque-là comme laxiste et peu fiable. C’est la raison pour laquelle le président Mohamed Ould Cheikkh El Ghazouani a reconnu avec joie les progressions des Forces armées maliennes –Fama- dans ce sens et leur coopération lors du Sommet du G5 en février. En revanche la Mauritanie ne transigera pas et refusera d’être compromise dans des affaires d’exécutions sommaires qui commencent à apparaitre au grand jour. S’il faut se montrer prudent sur ce point, des enquêtes internationales sont en cours, et l’expérience de la Mauritanie en contre-guérilla lui confère une conscience aigüe de l’injustice et de la contre-productivité de ce genre de pratiques. Plus que tout autre pays du G5, la Mauritanie sait que ce qui à été gagné peut vite s’effondrer : d’où son constant effort de développement et de modernisation.

Ben Abdalla