Corruption en Mauritanie : Quand des milliards se volatilisent/ Par M’Rabih Rabou Ould Cheikh Bounena, économiste

11 June, 2020 - 01:09

La corruption est une abomination. Elle est l’acte le plus vil qu’une personne puisse réaliser quel que soit le côté où elle est, donneur ou receveur. C’est un acte honni et condamné par toutes les croyances. La corruption  couvre des champs multiples :

* Destruction : notre saint Coran dit : « Et Allah n’aime pas la destruction » qui est le sens premier de corruption : exemple corrompre des aliments, ils deviennent impropres à la consommation.

* Aliéner les biens publics qui sont nos biens à tous et, particulièrement, ceux de la veuve et l’orphelin : «  Ne dépensez le bien de l’orphelin qu’à bon escient, Que celui (le tuteur) qui est pauvre en dépense raisonnablement et celui qui est riche s’abstient » et aussi, lors de la conquête de Beni Nadir, Il confisqua les prises « de crainte qu’elle ne soit un butin entre les plus riches d’entre vous » et destina ce butin à la Caisse des Musulmans pour venir en aide aux plus nécessiteux

*Le népotisme :le Coran enseigne : « Dis le vrai même à ton encontre ». ou encore «Témoigne (à charge) même contre tes proches ».

* La Gouvernance : « Ceux à qui sont confiés les gens (la gouvernance du peuple) se servent »

La corruption est un phénomène mondial qui engendre la pauvreté, entrave le développement et décourage l'investissement. Elle fragilise aussi les systèmes judiciaires et les politiques censées servir l'intérêt général.

 

Petite et grande corruptions

Ils existent ceux qui volent des milliards dans les caisses publiques et il y a des sociétés multinationales qui versent d'énormes pots-de-vin pour obtenir des marchés publics lucratifs. C’est la grande corruption

Si petite corruption ne fait pas beaucoup parler d’elle, elle coûte peut-être plus cher que la grande: "Les transactions portent certes sur de petites sommes, en pièces et en petits billets, mais elles ont lieu des dizaines de milliers de fois", a dit M. Gilman, Rapporteur pour l’UNODC (United Nations Office on Drug and Crime). Mais elle un rôle extrêmement vicieux puisqu’elle permet de banaliser la corruption, la généraliser.

Afin de combattre la corruption, l’Agence des Nations Unis chargée de la lutte contre la corruption fournit un cadre juridique global. Cet instrument international est entré en vigueur le 14 décembre 2005. Comme l'explique M. Gilman, "la Convention reprend les meilleures pratiques en vigueur dans le monde et commence à exiger des pays qui l'ont ratifiée qu'ils s'engagent à respecter."

On attend des États parties à cette convention qu'ils coopèrent dans tous les domaines de la lutte contre la corruption, y compris la prévention, les enquêtes, le recouvrement d'avoirs et la poursuite des délinquants.

La Mauritanie a ratifié cette convention en 2017 et a auparavant mis en place une loi relative à la corruption et la réprimant. C’est une loi très complète qui en particulier définit tous les types de corruption : 1. la surfacturation et les dépenses fictives, 2. le détournement, la destruction, ou la dissipation, 3. l’exonération ou franchises illégales, 4. le trafic d’influence, 5. l’abus de fonction, 6. la prise illégale d’intérêt, 7. l’enrichissement illicite, 8. le recel, 9. l’entrave au fonctionnement de la justice, 10.Le non dénonciation des infractions, etc.

La loi définit par ailleurs les peines et amendes qui peuvent être infligés aux parties de la corruption et en particulier prévoit la saisie des biens ainsi soustraits ou acquis et la confiscation pure et simple des biens de la personne incriminée.

La corruption dans notre pays a été dénoncée maintes et maintes fois.

Un jour P. Lafrance, ancien ambassadeur de France justement m’a dit : «Il y’a pire que vendre son pays, c’est l’acheter» car dans ce cas tout vous appartient, des enquêteurs jusqu’aux juges ! En effet, l’'État de droit étant affaibli, comment s'étonner que les citoyens fassent de moins en moins confiance à ses représentants de l'État et aux institutions nationales? Regardez l’exemple de la circulation chez nous. Et notre pays semble avoir été acheté par certains de ses enfants.

Selon certaines sources, la corruption chez nous a été enfantée par la sécheresse des années 70. Lors de la distribution des vivres, les agents de l’Etat avaient tendance à favoriser leurs proches ou tout simplement à vendre à leur compte l’aide alimentaire. A cette époque, quelqu’un s’est étonné auprès de Mokhtar Ould Daddah, de la non désignation de 2 fonctionnaires éminents et de grande famille comme Ministres, Mokhtar a sobrement  répondu, « ils ont choisi l’argent ».

 

Un coin du voile

La Banque Mondiale a publié en février 2020, sous la signature de Bob Rijkers, économiste, et de trois de ses collègues, Jørgen Juel Andersen, Niels Johannesen, Bob Rijkers, un rapport qui lève un coin de voile sur ce phénomène en révélant que 5% de l’aide financière fournie par la Banque Mondiale à 22 pays dont la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso est détournée dans des paradis fiscaux. (Elite Capture of Foreign Aid : Evidence from Offshore Bank Accounts) 
Concernant la Mauritanie, l'étude a révélé des transferts financiers d'une valeur de 182 millions $ (environ 62 milliards ouguiyas anciennes) de la valeur de l'aide étrangère, effectués par des responsables mauritaniens vers des centres financiers offshore connus pour leur opacité et leur gestion privée de fortune, dont 150 millions $ ont été placés dans des comptes bancaires et 32 ​​millions $ transférés dans des paradis fiscaux. Le tableau suivant est amusant car il montre que le taux de croissance trimestriel des dépôts de ces fonds dans les banques étrangères est supérieur aux taux de croissance du PIB

  

Tableau 1 : Aides à la Mauritanie et Fonds d’Aide Volés

Aide BM en % du PIB

Aide annuelle  en % du PIB

Dépôts dans les PF* en millions de$

Dépôts dans autres pays millions $

Taux de croissance dépôts dans PF

Taux de croissance dépôts autres pays

Taux de croissance du PIB trimestriel

 

2,1

6,8

32

150

2,14

2,7

1,8

           
             
  • * Paradis fiscaux

Les données précédentes concernent la période de 1999 à 2010. Si l’on extrapole, en 2020 ces vols représenteraient aujourd’hui 350 millions en espérant, que l’appétit ne venant pas en mangeant, nos dirigeants ne soient pris de boulimie…

Transparency International a classé 180 pays par degré de corruption, en 2014, nous étions le 124ième pays le plus corrompu, en 2017 nous avons reculé et sommes classés 148ième à égalité avec des pays en guerre ou vivant des troubles sociaux comme le Liban, le Bengladesh, le Kenya et le Guatemala. Le Mali est 122ième, le Sénégal 66ième. Pour Doing Business, nous sommes classés 148 sur 190, le Sénégal est  classé 141, le Mali 145. Et pour le classement Mo Ibrahim des pays africains, nous sommes classés 40 sur 54, le Sénégal10/54 et le Mali28/54.

Mais ces dernières années, la corruption atteint chez nous son degré ultime d’abjection, représenté par une passivité sans précédent de nos soit disant intellectuels ou élites. Sans doute sommes-nous tous complices, et à ce titre, méritons le mépris.

 

Corruption vicieuse

La corruption n’est pas seulement le fait de dirigeants, ainsi une corruption vicieuse se trouve dans l’exemple suivant, malheureusement très fréquent : un individu lorgne sur une place publique et échafaude le plan suivant, il commence par construire une mosquée, sachant que personne ne va protester, puis les dépendances de la moquée, des boutiques (ou un centre commercial) et des logements…

La corruption est un obstacle aux affaires en Mauritanie. Tous les secteurs souffrent d’une corruption invasive. Les licences et les permis ne sont obtenus qu’au travers de la corruption et des réseaux de clientélisme. Le système judiciaire est éminemment corrompu. Une enquête réalisée par la société américaine GAN Integrity fait apparaître que 50% des investisseurs potentiels approuvent ce constat. Les cas de corruption ne sont jamais jugés même si la Mauritanie est membre du Centre International du Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) et de la Convention de New York de 1958 élaborée par La Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et chargée de la  reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales.

Les ressources naturelles, les mines et la pêche en sont les activités les plus vulnérables et il est commun que des parents ou associés de politiciens locaux se voient attribuer des permis ou des licences sans appel à concurrence (GAN integrity inc rapport sur la corruption en Mauritanie), exemple Affaire Shenker/Maurilog/Kinross. Enfin, ajoute le rapport de GAN, la police est peu fiable pour protéger les entreprises d’où le recours systématique de celles-ci à des sociétés privées de gardiennage auxquelles ont été attribués des agréments, dans l’opacité la plus totale, pour assurer le gardiennage.

Ce type ultime de corruption ne se rencontre pas sous les dictatures, mais uniquement sous la tyrannie En effet, le dictateur se pense investi par la Nation pour la sauver, la redresser, etc. Le tyran est investi par lui-même pour réaliser son propre dessein, ses propres ambitions d’enrichissement.

Pour contrer la corruption, il n’y a qu’une solution radicale :saisir les biens ainsi soustraits ou acquis ou encore confisquer purement et simplement les biens, conformément à notre loi même si c’est à titre conservatoire. A la personne incriminée d’en appeler à la justice ( ?).

 

En attendant, la Mauritanie compte toujours un niveau de pauvreté élevé, avec un IDH (Indice de développement humain) de 0,513 (167ème rang mondial en 2017). Peut-être que cette statistique est vraie, peut-être est-elle fausse. Cela dépend de l’indicateur de pauvreté utilisé, elle est vraie si on compte en poignées de riz par habitant, elle est fausse si on compte en poignées des portières de voitures tout- terrain…

Quelqu’un m’a demandé : pourquoi ne parle-t-on  pas de vertu en Mauritanie? Je suis resté sans voix…