Elevage : gouffre ou richesse ?/par Mohamed Baba Abdel Wedoud

19 May, 2020 - 19:21

Dans notre pays, l’élevage demeure, malgré le peu d’intérêt que les pouvoirs publics lui accordent, et les ravages des sécheresses catastrophiques, une activité vitale pour une grande partie de nos populations.

En effet, cet important secteur de l’économie nationale qui fait vivre plus du quart de la population, n’a bénéficié à ce jour, de la part de l’Etat que de quelques mesures ponctuelles comme l’exonération d’impôts pendant les années 1970,l’accord de transhumance avec les pays voisins, les interventions en matière d’aliment de bétail en 1972-1973 et 2003, et la réalisation de quelques forages en zones pastorales dont la gestion ultérieure s’est vite avérée chaotique : la plupart de ces ouvrages générateurs de grandes recettes au titre de la vente d’eau, ont été cédés à des particuliers qui ont bénéficié, de surcroit, d’une liberté déconcertante en matière de fixation des prix.

Sur les plans primordiaux de l’assistance, des orientations, de l’encadrement, « les services compétents » de l’Etat brillent par leur absence !

Dans cet environnement les éleveurs nomades, laissés pour compte, désemparés, croupissant sous le poids insupportable d’une terrible sécheresse abandonnent pour la plupart d’entre eux, le secteur qu’envahit un monde de type nouveau.

Ainsi l’élevage prend une nouvelle tournure caractérisée par une gestion particulière : le pâtre devient un salarié sous la surveillance périodique et à distance, d’un propriétaire souvent  sédentaire et même parfois installé à l’étranger.

C’est la fin du troupeau familial de subsistance qui est à la fois un capital, une source d’alimentation et un moyen de transport, où règnent des liens affectifs entre le propriétaire et son cheptel : les noms à caractère votif ou propitiatoire affectés à chaque tête, et les soins particuliers dont jouissent les animaux sont suffisamment  éloquents pour souligner la profondeur de ces liens.

 

Terrible sécheresse

 

Ces éleveurs traditionnels, naguère en campements nomades ont inauguré  ces dernières décennies, une sédentarisation, formant des groupements villageois autour des points d’eau ou sur les axes routiers.

Cette sédentarisation précipitée  et anarchique où le Mbar, le Gueytoun et baraques, lourds et fixes, supplantent les tentes légères et mobiles, s’est  traduite par une désertification désolante des lieux durablement occupés, extirpant, du coup, toute velléité d’élevage classique dans les environs accessibles.

A cette situation embarrassante, l’éleveur, pour sa survie, doit impérativement s’adapter, s’en sortir du mieux possible.

C’est ainsi qu’en dépit de la calamité endémique de la sécheresse, l’atavisme nomade et l’attachement viscéral à leur source de vie conduisirent les éléments actifs à se constituer en petites unités mobiles (Ezib) et à poursuivre, souvent de conserve, séparés des leurs, restés au village, le parcours habituel « d’enfants de nuage » qu’exige l’entretien de tout élevage extensif.

Situation naturellement difficile à tenir surtout à la longue, d’autant plus que la relève générationnelle, en ce domaine, est rarement au rendez-vous.

Quant aux troupeaux aux mains d’une main d’œuvre salariée et prise en charge en nourriture, soins et habits, la présence des propriétaires est sporadique : visite d’inspection, ou lors de la Zakat, ou à l’occasion d’un tri des éléments destinés à la vente.

Ainsi le troupeau reste la plupart du temps sous la garde d’un ersatz  de pâtre recruté à la volée, ni soigneux ni professionnel, comme l’est la génération d’éleveurs classiques, en voie d’extinction, qui maitrisent à merveille tous les détails des attributs, exigences et mœurs du cheptel sous leur garde : qualités et défauts de chaque unité (grandes ou petites laitières, docile…), critères du choix de l’étalon, période de rut, dates des saillies, gestations encours, projections pour les parturitions, diagnostic et soins à administrer en cas de maladie…etc.

D’ailleurs la plupart des bergers actuels, salariés et entretenus indépendamment de l’état du bétail sous leur garde, profitant dans certains cas de l’ignorance et / ou des absences fréquentes des propriétaires, se soucient peu de la situation des troupeaux, peu importe pour eux, qu’ils soient cachectiques ou gras, réunis ou éparpillés, voire en grande partie égarés.

Dans cette pénurie poignante de la conscience et du bon sens, l’élevage essentiellement extensif, subit, violemment et simultanément les irrésistibles coups de boutoir de l’interminable sécheresse, de la dégradation croissante de la qualité de la main d’œuvre, et de la lourdeur des charges, chiffrées au bas mot à 200.000 UM/mois pour un troupeau moyen tenu par deux employés.

 

Situation intenable

 

Dans ces conditions il est légitime de se demander pour combien de temps, ces braves éleveurs peuvent-ils tenir. Seul Allah le sait.

En tout état de cause, la situation actuelle est intenable, en tout cas pour toute personne qui procède à la nécessaire évaluation de son activité.

Ainsi le poids de l’évidence et de la raison impose la recherche d’une nouvelle orientation aussi bien au niveau des éleveurs eux-mêmes qu’au niveau des pouvoirs publics, pour sauver ce qui peut encore l’être de cette activité incrustée fatalement dans la vie des Peulhs et Maures mauritaniens.

En ce sens, on peut préconiser les mesures suivantes :

 

  1. 1) Au niveau des éleveurs :

- S’orienter progressivement vers un élevage intensif avec le recours à une alimentation artificielle pour en tirer le maximum de profit : vente de lait, d’animaux de boucherie, de poils et laines…etc.

- Favoriser la qualité sur la quantité en faisant appel aux étalons de bonne race.

- Elever l’espèce la plus adaptée à  notre environnement.

 

                        2) Au niveau des pouvoirs publics :

- Mettre en place un système rapide d’information sur les pâturages et définir des zones de parcours (élevage extensif) et de pacage (élevage intensif)

-Assurer à la charge de l’Etat la santé animale à travers des campagnes périodiques de vaccination contre les grandes épizooties.

- Recenser le cheptel et définir la taille optimale en fonction de la capacité de charge de nos écosystèmes.

- Impliquer les associations socio-professionnelles dans la gestion du secteur (politique d’intrants, marchés, abattoirs…etc.)

- Assurer la formation des cadres et agents vétérinaires pour les rendre à même d’exécuter convenablement leur mission zootechnique.

- Construire des unités frigorifiques pour la conservation des viandes et produits laitiers destinés aussi bien à l’exportation qu’à la consommation locale.

La combinaison de ces mesures, du reste complémentaires, contribuera, à coup sûr, à pérenniser cette activité irremplaçable pour le pays, par l’autosuffisance en viande et certains produits laitiers qu’elle procure, et par son rôle pionnier en matière d’emploi à l’heure où le monde entier lutte par tous les moyens contre le calvaire du chômage.

A ce titre, d’ailleurs, il importe de souligner que l’élevage est subventionné sur les fonds publics dans la quasi-totalité des pays du monde.

 

 

 

Mohamed Baba Abdel Wedoud

Cadre des douanes à la retraite à Nouakchott

Tél : 46 77 87 92

Nouakchott le 18/05/2020