Yahya Ould Ahmed El Waghf, quatrième vice-président de l’Union Pour La République: ‘’Le dialogue peut prendre plusieurs formes selon le contexte politique du pays. La situation politique actuelle est plutôt favorable à des concertations continues’’

8 April, 2020 - 20:08

Le Calame : Comme presque tous les pays du monde, la Mauritanie est victime du COVID -19. Avez-vous le sentiment que le gouvernement a pris toute la mesure de ce drame ? Que les différentes mesures sanitaires et médicales prises par celui-ci peuvent permettre au pays de faire face efficacement à la propagation de ce virus ?
Yahya Ould Ahmed El Waghf: Cette pandémie du COVID-19, qui a déjà touché plus d’un million de personnes dans le monde, constitue aujourd’hui un défi majeur pour tous les gouvernements de tous les pays. Notre gouvernement a réagi rapidement et de façon efficace pour nous protéger. Il a mis en place les institutions appropriées dès le début du mois de février, avec obligation de confinement pour toutes les personnes venant de certains pays touchés par cette endémie, bien avant l’apparition du premier cas de COVID-19 dans notre pays. Un effort considérable de mobilisation et de sensibilisation a été engagé. Dès l’apparition de ce premier cas, les autorités ont décidé :
i) Le confinement de tous les voyageurs venus en Mauritanie des zones endémiques
ii) La réduction des points de passage frontaliers et le renforcement de la surveillance sanitaire au niveau de ces points frontaliers ;
iii) La fermeture de tous les établissements scolaires et universitaires ;
iv) L’invitation des citoyens à titre préventif à éviter les rassemblements, les festivités et les cérémonies ;
v) La mise en service d’un numéro vert.
Ces mesures ont été renforcées avec l’évolution de la situation en instaurant un couvre-feu, un confinement généralisé à tous les voyageurs venus en Mauritanie et à la fermeture totale de toutes nos frontières.
Face à cette situation très délicate, le président de la République s’est adressé aux mauritaniens pour les rassurer sur les implications sanitaires, économiques et sociales que pourrait occasionner cette pandémie. Dans ce cadre, il a annoncé la création d’un fonds spécial de lutte contre le COVID 19, doté de 25 milliards MRO. Quelle appréciation vous faites de cette décision ?
Mesurant la gravité de la situation, le président de la République s’est adressé à la nation pour rassurer notre peuple, souligner la communauté de destin qui le lie en ces moments de grande menace et remercier tous les citoyens pour avoir réagi positivement à l’ensemble des mesures qui ont été prises par le gouvernement. Il a souligné en particulier que toutes les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de l’approvisionnement du pays en produits alimentaires, en médicaments et en hydrocarbures ont été prises.
Le président de la République a annoncé également la création d’un Fonds spécial de solidarité sociale et de lutte contre le coronavirus et pour faire face aux conséquences éventuelles de cette situation sur les citoyens et en particulier ceux les plus démunis. Ce fonds est ouvert à toutes les contributions à cet effort national. Il a annoncé une contribution de l’Etat de 25 milliards (MRO) pour couvrir les frais liés à l’acquisition de médicaments et d’équipements sanitaires et la prise en charge par l’Etat, pour le reste de l’année, de l’ensemble des impôts et taxes douanières sur les importations de blé, d’huile, de lait en poudre, de légumes et de fruits, des frais de consommation d’eau dans les villages et de toutes les taxes appliquées aux chefs de ménages qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale. Ce fonds couvre également la prise en charge pendant deux mois, des factures d’eau et d’électricité des familles pauvres en milieu urbain, et de toutes les taxes municipales liées aux activités informelles. Un montant de 5 milliards au niveau de ce fonds est consacré à l’appui de 30 milles familles très pauvres qui recevront une aide financière pendant trois mois.
Ces mesures se distinguent par leur approche de ciblage effectif des populations les plus pauvres. L’exonération des principales denrées alimentaires qui représentent un poids considérable au niveau du budget des ménages pauvres, la prise en charge des frais d’eau et d’électricité pour les branchements sociaux en milieu urbain et les frais de consommation d’eau en milieu rural, l’appui des acteurs économiques les plus vulnérables, etc. profitent directement à ces populations sans risque de déviation.
Il y a lieu de souligner également que ces mesures sont sans impact sur les programmes arrêtés par le gouvernement. Le programme « mes priorités » d’un montant de plus de quarante milliards est maintenu et est en cours de mise en œuvre. Le programme d’appui aux éleveurs est également maintenu et sera lancé incessamment.
Que vous inspirent déjà les premiers gestes de solidarité dont certains mauritaniens font montre pour répondre à l’appel du président de la République ? Et Comment l’UPR entend accompagner l’action du gouvernement ?
Je ne suis pas du tout surpris de cet élan de solidarité. Les mauritaniens ont toujours fait preuve de générosité dans les moments les plus difficiles, le message du Président était convaincant et les mesures annoncées ne peuvent que rassurer par rapport au ciblage des bénéficiaires.
L’UPR a reporté sa campagne de vulgarisation des résultats de son congrès, tenu les 28 et 29 décembre dernier, à cause du coronavirus. Pouvez-vous nous dire comment se porte le parti au sortir de son Congrès ? Comment le parti a géré les cadres et militants qui ont dénoncé, dans la presse, leur exclusion du bureau exécutif et du Conseil national?
L’Union Pour la République se porte bien. Nous venons de sortir d’un congrès qui marque un tournant historique dans sa vie de parti politique. Le congrès a été un grand succès. Il a élu sa nouvelle direction dans un climat d’entente et de façon quasi-consensuelle. Toutes les institutions du parti, Conseil National, Bureau Exécutif, Secrétariats Exécutifs, ont été mises en place. Il est naturel, surtout dans notre contexte, que l’élection des instances des partis donne lieu à des mécontentements voire même des protestations. Dans le cas qui nous concerne, les mécontentements étaient très limités et ont été très rapidement contenus. La direction du parti a organisé des réunions avec les élus du parti et les responsables régionaux et a mis en place les cadres de concertation appropriés. La plupart des cadres du parti a été intégrée au niveau des secrétariats exécutifs. Ils sont fortement impliqués au niveau des programmes et des plans d’action du parti en cours de finalisation. Nous avons programmé des missions pour une prise de contact avec nos militants pour leur expliquer les résultats de notre congrès et recueillir leurs observations et suggestions. Dès que les conditions seront favorables, nous reprendrons notre programme de missions sur le terrain.
Au sortir de son congrès, quelle est la vision de l’UPR de la question de l’Unité nationale qui continue à alimenter l’actualité politique du pays ?
La déclaration politique que les instances du parti ont adoptée accorde une place de premier ordre à l’unité nationale. Cette déclaration s’inspire largement du programme du président de la République qui considère que l’islam constitue le ferment de notre unité nationale. Cette déclaration prône l’entente et la concorde entre les différents segments du peuple mauritanien. Elle considère la réforme du système éducatif national et son unification, de façon concertée, comme un passage obligé pour l’unité nationale, mais aussi pour le développement économique et social du pays. Cette réforme doit obligatoirement prendre en compte les besoins de développement de nos langues nationales pour une meilleure communication interne et la nécessité pour notre pays de s’ouvrir sur le reste du monde. L’unité nationale passe également par une restauration de la confiance et un effort soutenu pour la dissipation des préjugés. Nos priorités en ce qui concerne l’unité nationale sont celles-là mêmes qui ont été développées au niveau du programme du président de la République, à savoir, l’instauration d’un Etat moderne au service du citoyen, une société fière de sa diversité et réconciliée avec elle-même et un capital humain valorisé au service du développement.
Le parti a enregistré beaucoup de ralliements avant et après la dernière présidentielle. Quelle place occupent-ils aujourd’hui au sein du parti ?
Comme vous le savez, la vie politique des partis est dynamique. Le programme du président de la République et son élection ont donné lieu à d’importants ralliements collectifs et individuels au parti, lors de son dernier congrès. Dès leur intégration, ces personnalités deviennent des militants du parti, mais aussi des dirigeants, comme tous les adhérents. Ils sont aujourd’hui présents dans toutes les instances du parti.
Une commission d’enquête mise en place par l’Assemblée nationale au sein de laquelle votre parti détient une grande majorité planche depuis quelques mois déjà sur la gestion de l’ancien président de la République. Une première en Mauritanie dont il faut se féliciter, non ?
La création de cette commission d’enquête parlementaire rentre dans le cadre de cette nouvelle vision politique portée par le programme du président de la République et qui vise une séparation effective des pouvoirs. Cela permet au parlement de jouer pleinement son rôle en matière de contrôle de l’action gouvernementale pour renforcer la démocratie dans notre pays. Cette commission a été misse en place et exerce sa mission depuis plus de deux mois sans aucune intervention, ni de l’exécutif, ni des partis politiques.
Au lendemain de son entrée en fonction, le président Ghazwani a entrepris de normaliser les rapports entre la majorité et l’opposition. Quelle évaluation vous faites de cette approche ?
Le président de la République a pris une initiative louable que tous les mauritaniens ont saluée. Il s’est ouvert à l’opposition démocratique. Il a mis fin à cette rupture, entre le pouvoir exécutif et l’opposition, qui a porté préjudice au pays en entretenant une tension permanente qui dénature le climat politique. La concertation découlant de cette ouverture donne lieu à un échange fructueux qui ne manquera pas d’enrichir et d’améliorer l’action du gouvernement. Je saisis cette occasion pour saluer le courage des dirigeants de l’opposition qui ont accueilli favorablement cette initiative et qui ont fait preuve de beaucoup de clairvoyance et de perspicacité. J’espère que ce climat politique apaisé puisse être entretenu et que tous les acteurs politiques continuent à y contribuer. Dans son programme, le président de la République s’est engagé à encourager cette concertation, « Je ne ménagerai aucun effort pour que la pratique de la concertation entre les partis politiques, majorité et opposition, soit une donnée stable de notre environnement politique », avait-il dit.
Beaucoup de partis de l’opposition qui ont eu à rencontrer le président Ghazwani réclament la tenue d’un dialogue politique inclusif pour débattre des problèmes du pays. Je veux parler du président Ahmed Ould Daddah, du président Messaoud Ould Boulkheir, du président Mohamed Maouloud… Qu’elle est la position de l’UPR par rapport à la nécessité ou pas de tenir un dialogue politique inclusif ?
Le dialogue entre les acteurs politiques est la meilleure voie, en démocratie, pour instaurer un climat politique apaisé et assurer une pleine participation de tout le monde au développement économique et social du pays. Ce dialogue peut prendre plusieurs formes selon le contexte politique du pays. La situation politique actuelle est favorable à des concertations continues en vue de trouver les solutions appropriées aux différents problèmes du pays. Il faut une concertation permanente entre les partis politiques, majorité et opposition, pour développer les points de convergence et identifier des solutions consensuelles aux problèmes les plus urgents, en matière de justice, d’équité, de liberté et de démocratie. Le niveau actuel de concertation entre le président de la République et le gouvernement avec l’opposition démocratique doit être renforcé. Cette approche graduelle, qui ne doit exclure aucun acteur politique, me semble être aujourd’hui la plus adaptée à notre contexte politique actuel.
Propos recueillis par Dalay Lam