Moustapha Limam Ahmed Ould Sidatt est l’un acteurs politique du Tagant. Avant d’être élu sénateur de Tidjikja en 2007, Ould Sidatt avait conquis la maire de Tidjikja en 1993. Il est aussi un acteur de la société civile, grâce à l’une des premières Ong qu’il a créée : L’Union des Coopératives du Tagant (UCT). Cette Ong pionnière a contribué, grâce à l’appui de ses partenaires, notamment l’USAID, à lutter contre la pauvreté dans cette région du centre. Elle a ouvert des boutiques dans presque tous les coins de la région, permettant ainsi d’approvisionner les populations en produits vitaux, pendant les années difficiles. En même temps, elle introduisit la micro-finance avant l’heure. Beaucoup de Tagantais ont bénéficié de prêts de cette Ong. Près d’un milliard d’Ouguiya, laissait-on entendre au cours d’un atelier sur le micro-crédit, organisé par la World Vision. C’est l’UCT qui a introduit, la première, les cuisinières à gaz partout dans la région pour lutter contre la déforestation et pour protéger l’environnement. L’UCT était très en avance sur son temps. Ces nombreuses actions rendirent très populaire le président de l’UCT, ce qui n’a pas manqué de susciter la jalousie et l’ire de certains acteurs politiques de l’époque.
Après son premier mandat à la tête de la mairie, Ould Sidatt choisit de faire la parenthèse sur ses activités politiques jusqu’à son élection, en 2007, comme sénateur de Tidjikja. Une alliance entre son parti, l’UFP, à l’époque et les indépendants (groupe de Didi Ould Biyé) avait permis à ces derniers de remporter la mairie de Tidjikja et aux seconds les deux députés et le sénateur.
Ould Sidatt est un esprit très indépendant, un rebelle même qui s’accommode mal avec le discours et les méthodes politiciens, et même les commodités mondaines. Au Sénat, il s’est farouchement opposé aux amendements constitutionnels et n’a cessé de dénoncer les dérives du pouvoir.
Il a accepté de répondre à nos questions.
Le Calame : La campagne pour le referendum du 5 Août a été lancée le vendredi 21 Juillet à 0h. Vous faites partie des sénateurs opposés aux amendements constitutionnels, objet affiché de cette consultation populaire. Que vous inspire l’évènement ?
Moustapha Limam Ahmed Sidatt : Le lancement de la campagne du referendum du 5 Août constitue, pour nous les sénateurs, une consécration de la volonté du pouvoir actuel de réaliser un coup d’Etat contre la Constitution, après s’en être fait une habitude, maintes fois, contre les présidents légitimes. C’est une démonstration, éloquente, d’un pouvoir personnel, avide à s’afficher, unique en son genre, méprisant les institutions constitutionnelles et s’arrogeant tous les pouvoirs, sans se soucier d’aucune forme. A titre d’exemple, les fonctionnaires de l’Administration et les agents des sociétés et de projets nationaux ont reçu l’ordre, de leurs supérieurs, de venir aux meetings, avec parents et amis, sous peine d’être licenciés. Des points de ralliement ont été fixés, pour assurer leur transport et vérifier leur présence. D’autres en sont à faire du porte-à-porte, pour ramasser les cartes d’identité. La vacance de l’administration, durant quinze jours, a été décrétée sur l’ensemble du territoire national, pour forcer ses agents à faire campagne pour le oui ; tous les moyens de l’Etat sont mobilisés et utilisés, à tous les niveaux. C’est vraiment ridicule, une parodie de démocratie, un aveu de faiblesse, pour un régime qui se vante, à longueur de journée, de ses réalisations et de sa popularité. Si, pour s’assurer de la participation des citoyens, le pouvoir se retrouve dans l’extrême besoin de les contraindre, par la force ou par la corruption, c’est dire à quel point il est impopulaire.
-Vous vous battez, depuis des mois, contre le projet du gouvernement d’éliminer le Sénat, la Haute Cour de justice, modifier les couleurs du drapeau national, les paroles de l’hymne national…Peut-on dire que vous vous êtes battus pour rien ? Sinon, que compte faire le comité de suivi du Sénat, durant cette campagne, pour contrer l’agenda du pouvoir ?
-Les sénateurs ont fait ce que la Constitution les autorise à faire, en votant, en majorité, contre les modifications de la Constitution. Ils ont continué à sensibiliser l’opinion nationale et internationale, sur l’inconstitutionnalité du referendum. Il appartient au peuple mauritanien de barrer le chemin aux malversations du pouvoir. Le comité de suivi poursuit, actuellement, une campagne contre le referendum et entend coordonner son action avec tous ceux qui s’y opposent. Il saisira les instances internationales et sous-régionales, sur les irrégularités de la procédure et sur la gravité de la situation qui en découlera. Les sénateurs ont signifié, à maintes reprises, qu’ils ne reconnaîtront jamais le referendum et continueront donc à se battre, quel qu’en soit le résultat, pour une vie constitutionnelle normale. Dans cette perspective, les sénateurs participeront, activement, à l’émergence d’une nouvelle mouvance politique, capable de d’analyser, objectivement, la situation, pour lui trouver des solutions appropriées, dans un climat apaisé et serein, en vue d’une alternative crédible et transparente, à l’horizon 2019, en favorisant la concertation entre tous les acteurs et en veillant à l’honnêteté de tout le processus électoral.
- Parmi les chantiers du Sénat qui ont, semble-t-il, valu, au sénateur Ould Ghadda, des démêlés avec la justice, figure, entre autres, l’audition des ministres sur certaines questions, comme l’attribution des marché de gré à gré. Il y a quelques jours, vous êtes revenus sur ledit dossier, au cours d’une rencontre avec la presse. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?
-Dans son travail de contrôle de l’action gouvernementale, le Sénat mauritanien a mis en place une commission pour enquêter sur les marchés de gré à gré, largement répandus ces dernières années. Ils ont porté, semble-t-il, sur plusieurs centaines de milliards d’ouguiyas, avec des sociétés mauritaniennes et étrangères. Certains avec l’ENER, ATTM, le Génie Militaire, avec instruction, selon toute apparence, de sous-traitance pour des gens proches du pouvoir.
La commission a identifié les zones d’activité où se concentrera son enquête : le secteur agricole, l’énergie, l’hydraulique, les mines, l’équipement et le transport. Un certain nombre de responsables ont reçu des lettres de convocation, pour audition au Sénat. Certains ont déchargé leur lettre, d’autres ont refusé, aucun d’entre eux n’a voulu se présenter au Sénat. Ce refus de répondre à la convocation de la Commission constitue un acte anticonstitutionnel grave, doublé d’une entrave au travail parlementaire clairement défini dans notre Loi fondamentale.
Partant de ce constat, la Commission a tenu à en informer, au cours d’un point de presse, l’opinion nationale et internationale. En dépit de ce refus de collaboration des membres du gouvernement, elle poursuivra son travail d’investigation et publiera un rapport détaillé, sur la base des informations qu’elle aura pu réunir.
-La question du troisième mandat vient d’être remise sur la table, par certains hauts responsables du gouvernement et de l’UPR (PM et président de l’UPR) qui ont prêché, ouvertement, pour cette hypothèse qu’interdit la Constitution. A en croire certaines sources, le président de la République aurait rappelé son gouvernement à l’ordre, laissant entendre qu’il n’est toujours pas dans son intention de modifier l’article 26 de la Constitution, pour briguer un nouveau mandat. Qu’en pensez-vous ? Lui accordez-vous le bénéfice du doute ?
-Il est fort regrettable que de hauts responsables, Premier ministre et président de l’UPR en tête, soient publiquement en campagne pour un acte anticonstitutionnel et contredisent le président de la République qui a juré, sur le Saint Coran, qu’il ne toucherait pas à la Constitution et qu’il la défendrait, bec et ongles. Il a aussi déclaré, à la clôture du dialogue dernier, qu’il ne cherchait pas un troisième mandat, une déclaration fortement applaudie par les participants. C’est un acte grave que ces responsables posent, qui fait preuve d’une très grande légèreté, envers l’opinion nationale et internationale, et qui ne pourra être effacé que par une déclaration, solennelle, du président de la République et le limogeage de ces deux responsables. La simple rumeur d’un rappel à l’ordre, en cachette, pour un acte public largement médiatisé, n’a ni sens ni valeur aucune.
-Pour certains mauritaniens, le front contre le referendum ne devait pas boycotter celui-ci, jugeant qu’une telle stratégie n’a jamais payé ; pour d’autres, y participer reviendrait à le légitimer. Qu’en pensez-vous ?
-Participer, c’est cautionner l’usage du faux ; ne pas participer, c’est laisser le champ libre à la fraude. Un vrai dilemme. Le front du refus contre le referendum a préféré le boycott et ne reconnaîtra pas les résultats du scrutin du 5 Août. Le Sénat est dans la même disposition. Ce qui se construit sur le faux est, par nature, complètement faux et ne peut engager que ceux qui l’ont initié. Le pouvoir a ouvert une crise institutionnelle qui est appelée à perdurer, malheureusement, et à provoquer, très certainement, beaucoup de remous et d’instabilité dans le pays. La responsabilité entière du gouvernement est engagée, à tous les niveaux. Nous en prenons acte et nous le jugerons, le moment venu, sur cette mauvaise performance, comme sur cette mauvaise gouvernance.
-Selon nos informations, il n'existe aucun texte régissant le referendum et, pour combler le vide, le Sénat aurait rédigé une proposition de loi, il y a quelques semaines. Pouvez-vous nous expliquer les motivations?
- C’est vrai qu’il n’y pas de loi, pour organiser les referendums, bien que la Constitution tranche, très clairement, entre ceux à caractère constitutionnel et ceux à caractère législatif. Il ne peut y avoir de mélange entre les deux, comme il ne peut y avoir de confusion entre le Ciel et la Terre, le jour et la nuit. Ce sont des espaces et des temps complètement différents. Mais, malheureusement, de nos jours, il y en a qui sont capables de tout mélanger, pour faire ce qu’ils ont l’intention de faire, sans aucune retenue, sans respecter la moindre forme. Le referendum à caractère constitutionnel passe, obligatoirement, par l’approbation des deux chambres du Parlement, suivant une procédure bien établie, avant d’être présenté au peuple, si avis positif. S’entêter à l’organiser, après son rejet par l’une des deux chambres, c’est perpétrer, tout simplement, un coup d’Etat contre la Constitution. Entraver le travail du Parlement, c’est une ingérence grave dans ses prérogatives. C’est une vulgaire « gazra » qui ne peut être justifiée d’aucune manière. Pour régler cette question, une fois pour toutes, le Sénat a pris l’initiative de rédiger une proposition de loi qu’il a adoptée et transmise à l’Assemblée nationale, afin qu’il n’y ait plus de place aux interprétations fallacieuses.
Propos recueillis par Dalay Lam
* membre du comité de crise du Sénat